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se trouvera avoir eu raison; la foi, qui croit contre l’apparence, sera justifiée : c’est elle qui aura bien deviné; la religion se trouvera vraie. La vertu alors s’expliquera. On comprendra le but et la signification de cet instinct étrange qui poussait l’homme, sans nulle arrière-pensée d’intérêt, sans espoir de récompense (la vraie vertu est à cette condition), au renoncement, au sacrifice. La croyance à un Dieu père sera justifiée. Notre petite découverte, notre effort pour faire régner le bien et le vrai sera une pierre cachée dans les fondemens du temple éternel. Nous n’en aurons pas moins contribué à l’œuvre divine. Notre vie aura été une portion de la vie infinie; nous y aurons notre place marquée pour l’éternité.

De qui est donc cette phrase qu’un bienveillant anonyme m’adressait il y a quelques jours : « Dieu est immanent non-seulement dans l’ensemble de l’univers, mais dans chacun des êtres qui le composent. Seulement il ne se connaît pas également dans tous. Il se connaît plus dans la plante que dans le rocher, dans l’animal que dans la plante, dans l’homme que dans l’animal, dans l’homme intelligent que dans l’homme borné, dans l’homme de génie que dans l’homme intelligent, dans Socrate que dans l’homme de génie, dans Bouddha que dans Socrate, dans le Christ que dans Bouddha. » Voilà la thèse fondamentale de toute notre théologie. Si c’est bien là ce qu’a voulu dire Hegel, soyons hégéliens.

Je sais que les idées que notre philosophie tout expérimentale se fait de la conscience semblent peu d’accord avec ces aspirations. La conscience en effet est pour nous une résultante : or la résultante disparaît avec l’organisme d’où elle sort; l’effet s’en va avec la cause; le cerveau se décomposant, la conscience devrait donc disparaître. Mais l’âme, la personne, doivent être conçues comme choses distinctes de la conscience. La conscience a un lien étroit avec l’espace, non qu’elle réside en un point donné, mais parce qu’elle s’exerce dans des limites déterminées. L’âme au contraire, la personnalité de chacun, n’est nulle part, puisque l’homme agit souvent plus fortement à mille lieues que dans le canton qu’il habite. L’âme est où elle agit, où elle aime. Dieu étant l’idéal, objet de tout amour, Dieu est donc essentiellement le lieu des âmes. La place de l’homme en Dieu, l’opinion que la justice absolue a de lui, le rang qu’il tient dans le seul vrai monde, qui est le monde selon Dieu, sa part en un mot de la conscience générale, voilà son être véritable. Cet être moral de chacun de nous est si bien notre moi intime que les grands hommes y sacrifient leur vie selon la chair, abrégeant leurs jours et au besoin endurant la mort pour leur vraie vie, qui est leur rôle dans l’humanité.

A ce point de vue, qui est plus vivant, à l’heure qu’il est, que