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avantage y aurait-il et pour la cause polonaise et pour la politique française à se faire des chimères et à imaginer une politique anglaise qui n’existe pas, et qui ne peut pas exister ? Ne serait-ce pas se condamner à une politique de plus en plus irrésolue et décousue que de se repaître ainsi d’une déception volontaire ?

Lord Russell ne dit évidemment point tout ce qu’il pense ; mais on ne pourra jamais lui reprocher de ne point penser tout ce qu’il dit. Tout autre ministre à sa place, lord Clarendon par exemple, dont on met depuis quelque temps le nom en avant, pourrait être plus agréable à tel ou tel cabinet continental ; mais nous croyons pouvoir affirmer qu’il ne serait ni plus belliqueux ni plus facile à concerter avec la France une action commune que le présent secrétaire d’état. Lord Russell a une probité et une franchise qu’aucun de ses rivaux ne surpassera : ces qualités sont de précieuses garanties pour ceux qui ont à traiter avec lui. En négociant avec lord Russell, on ne court le risque d’être trompé que par soi-même. Lord Russell a plus de philosophie dans l’esprit que n’en ont d’habitude les hommes d’état anglais ; mieux qu’un autre, il sait définir une situation par une idée générale. Dussent même ses généralisations rendre plus choquantes les contradictions de sa position, il n’est pas homme à reculer devant cet inconvénient. Il lui est plus facile ou plus agréable d’être sincère que de paraître adroit. Il a pris dans la question polonaise une attitude qui paraît inconséquente ; mais c’est une attitude conforme aux dispositions temporaires de l’opinion anglaise, une attitude fermement voulue, dont les contradictions le gênent si peu qu’il ne perd aucune occasion de les mettre lui-même aussi fortement en relief qu’il est possible. Dès le principe, il a dit qu’il ne voulait pas faire la guerre pour la Pologne ; dès le principe, il a dit qu’il n’entrait dans la question polonaise qu’à titre de conseiller, comme organe des jugemens de l’opinion publique et interprète juré du traité de Vienne. Pas de guerre, et des avis ou des appréciations ; il ne sort pas de là. Il est resté à Blairgowrie dans le même système. Sa déclaration pacifique a été plus énergique que jamais. « J’ai dit à ma place dans le parlement, et c’est encore mon opinion, que ni les obligations, ni l’honneur, ni l’intérêt, n’exigent que nous fassions la guerre pour la Pologne. » La précaution oratoire est carrée. Une fois cette assise posée, lord Russell reprend avec Bon moins d’énergie l’autre côté de son rôle, rôle du juge qui prononce l’arrêt, mais qui n’a rien à démêler avec l’exécution de la sentence. « Il est étonné du parti qu’a pris la Russie après cette longue correspondance. Rien n’a été plus scandaleux que le partage de la Pologne au dernier siècle ; un éternel reproche s’élèvera contre les puissances qui l’ont accompli. Jusqu’au traité de Vienne, cet acte n’était point admis dans le droit européen. Ce traité, sous la pression des circonstances, donna au partage une sanction rétrospective. Des conditions furent mises à cette sanction ; ces conditions, l’Autriche et la Prusse