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pliqués qui pouvaient être affectés par une telle guerre ? Avant tout se pose la question de l’équilibre général de l’Europe : aucun politique sérieux doit-il penser que les Anglais puissent avoir sur l’équilibre actuel de l’Europe les mêmes idées que le gouvernement français ? Une nouvelle guerre contre la Russie couronnée de succès affaiblirait nécessairement la puissance russe, et nécessairement, par contre-coup, augmenterait la puissance relative de la France sur le continent. Il serait par trop naïf de s’imaginer que l’Angleterre pût envisager avec indifférence une pareille perspective, et voulût généreusement travailler de ses propres mains à nous en donner le profit. Il y a encore l’inconnu de la réaction qu’une grande guerre polonaise pourrait exercer sur l’Allemagne. Qui peut prédire les remaniemens que les vicissitudes de la guerre produiraient dans quelques états germaniques, et n’est-il pas probable que ceux de ces états qui seraient plus ou moins remués et frappés sont justement des pièces que l’Angleterre compte sur son échiquier ? Il y a la question des alliances. Sur ce point, on serait impardonnable, si l’on se berçait en France de vains rêves. Elle est finie depuis bien longtemps, elle est allée où vont les vieilles lunes, la lune de miel de l’alliance anglo-française. Pourquoi, dit-on, la France et l’Angleterre ne reprendraient-elles pas, à propos de la Pologne, l’union active qu’elles avaient contractée pour la guerre de Crimée ? Nous déplorons, hélas ! pour la malheureuse Pologne que cette union ne puisse revivre ; mais à quoi servirait de prendre pour une réalité un vœu chimérique ? De bonne foi, l’expérience de la guerre de Crimée et de ce qui s’est passé depuis est-elle faite pour donner aux Anglais le goût de recommencer ? Avons-nous tenu compte des convenances de l’Angleterre dans la conclusion hâtive de la guerre de Crimée ? La Russie, au moment de la paix et après, ne nous a-t-elle pas comblés de prévenances affectées, et ne sommes-nous pas tombés avec empressement dans le piège que nous tendaient ses coquetteries ? Un peu plus tard, par un jour néfaste, un Italien vient commettre chez nous un horrible crime. La liberté française fait les frais de cet attentat, qui nous vaut la loi de sûreté générale ; l’alliance anglaise en est aussi compromise. On n’a pas oublié les fameuses adresses qui eurent pour conséquence le mouvement spontané des volontaires anglais. Puis vient la guerre d’Italie et la surprise de l’annexion qui a rendu proverbialement suspectes en Angleterre les guerres entreprises pour une idée. Il y a eu enfin une série de malentendus et de petites piques à travers lesquelles il va sans dire que l’Angleterre a eu des torts, a commis des fautes, n’a pas été juste à notre égard. Nous regrettons profondément les difficultés qui ont été si imprudemment accumulées entre les deux pays et qui rendent si peu probable le renouvellement d’une union active de la France et de l’Angleterre. Nous le regrettons dans l’intérêt de la Pologne, que l’accord sincère et résolu des deux pays, entraînant l’Autriche, pourrait arracher aux mains sanguinaires et spoliatrices de la Russie ; mais quel