Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

destinés dès leur origine à la réalisation d’une pareille politique, nous rallierions bien vite autour de nous les Sakalaves, les Betsimsaracs, les Batanimènes, populations de la côte qui ont toujours été animées des meilleurs sentimens pour nous et d’une haine profonde contre les Hovas, leurs oppresseurs. Leur soulèvement entraînerait celui d’autres tribus de l’intérieur, et progressivement nous arriverions au moyen de ces auxiliaires, recrutés dans le pays même, à menacer dans sa capitale le gouvernement d’Émyrne.

Ce plan a été plusieurs fois esquissé, mais jamais on ne l’a complètement exécuté. Il est, dans sa conception première, celui de Beniowski ; on le trouve formulé dans les propositions souvent renouvelées des gouverneurs de Bourbon, des hommes qui se sont le plus sérieusement occupés de nos intérêts à Madagascar. Il s’appuie aussi sur les expériences les plus éclatantes, et sur les témoignages nombreux que fournit l’histoire des colonies les plus célèbres du globe. Ce n’est jamais directement que les peuples civilisés ont implanté leur pouvoir sur une terre encore plongée dans la barbarie; jamais ils n’ont songé à engager une lutte corps à corps avec l’ignorance, la férocité, les superstitions des peuplades sauvages : ils ont pris à leur service des instrumens analogues aux résistances et aux obstacles qu’ils avaient à vaincre ; ils ont ménagé autant qu’ils ont pu la susceptibilité de la civilisation au moyen d’intermédiaires qui s’interposaient entre elle et ses ennemis. Dupleix et lord Clive tour à tour, quand ils ont voulu asseoir la puissance de leur pays sur l’immense territoire de l’Inde, n’ont pas eu la folle prétention d’accomplir leur œuvre avec la poignée d’Européens qui se groupaient autour d’eux; mais, hommes d’état en même temps qu’énergiques capitaines, ils recrutaient sous leur protection de nombreuses populations indigènes qu’ils opposaient à d’autres forces locales, et dont ils se servaient, grâce à de savantes combinaisons, pour dominer le pays tout entier. C’est une politique semblable que nous devons pratiquer à Madagascar. Avec quelque peu de patience et d’habileté, nous pouvons compter sur un plein succès. Nous serons aidés par le mécontentement des peuplades opprimées, par les divisions qui règnent à Émyrne même, car, s’il y a un parti victorieux en ce moment qui veut rétablir le système d’exclusion contre les Européens, il y a aussi un parti vaincu et qui n’a pas encore perdu confiance. Agissons donc avec fermeté et persévérance dans cette voie que l’expérience et l’humanité s’accordent à nous montrer comme la meilleure; le jour viendra où nous pourrons faire prévaloir de nouveau notre nom et nos intérêts sur cette terre africaine appelée, il y a deux siècles, la France orientale.


HENRI GALOS.