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maintenus[1]. Un des organes importans de l’opposition d’alors, M. Billault, formula même cette double pensée dans un amendement qui fut introduit dans l’adresse, et qui était ainsi conçu : « La France n’abandonne aucun de ses droits. Elle ne se refuse à aucun des sacrifices que lui imposent des intérêts aussi graves; mais elle attend de la prudence de son gouvernement qu’il ne s’engage pas sans la nécessité la plus absolue dans de lointaines et onéreuses expéditions. » Cette rédaction fut votée à une immense majorité, M. Billault ayant déclaré qu’il n’en faisait pas l’objet d’un blâme indirect contre le cabinet. Le ministère se le tint pour dit : l’expédition fut abandonnée. Il y avait une autre satisfaction à donner à la chambre : c’était d’empêcher une action isolée de la part de l’Angleterre, qui pourrait mettre en doute les droits de la France sur Madagascar. Le cabinet de Paris s’empressa de s’en expliquer avec celui de Londres. Lord Aberdeen, qui dirigeait la politique étrangère de la Grande-Bretagne, ne fit aucune difficulté de donner l’assurance à M. Guizot que des instructions allaient être immédiatement transmises au gouverneur de Maurice et au commandant des forces navales pour ordonner positivement de s’abstenir de toute démonstration contre Madagascar[2].

Cet épisode de notre histoire parlementaire est-il la preuve que les grandes choses sont impossibles sous un régime de discussion ? Il est très vrai que le gouvernement représentatif ne se montre pas disposé à sacrifier le présent à l’avenir, qu’il n’a pas les coudées franches pour engager au loin les finances et les forces du pays, comme les gouvernemens absolus; il est très vrai qu’il est plus lent, plus circonspect, parce qu’à chaque instant il faut qu’il justifie ses actes et dégage sa responsabilité. Néanmoins ces conditions font sa force, car par elles il associe à ses résolutions la nation tout entière; il agit non pas sous le mobile d’une pensée qui reste individuelle, quelque souveraine qu’elle soit, mais sous l’impulsion d’un sentiment public. L’histoire aussi témoigne qu’en fait de grandeur cette forme de gouvernement ne craint aucune comparaison.

A partir de ce moment, la France reprit à Madagascar sa politique d’observation.


III

Depuis cette époque jusqu’à la mort de la reine Ranavalo, survenue en août 1861, nos rapports avec la grande île africaine se sont

  1. M. Berryer se fit un devoir tout particulier de réclamer une réserve, expresse en faveur de nos droits.
  2. Dépêche de l’amiral de Mackau au capitaine de vaisseau Romain-Desfossés (février 1846).