Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/691

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souverain de la grande île, d’avoir des ports, une armée, peut-être même une marine. Ces vues ne pouvaient manquer de flatter les sentimens du roi des Hovas. Hastié, pour assurer son succès, était chargé de riches présens, et pouvait promettre des subsides à l’allié de l’Angleterre[1]. Bientôt des officiers anglais vont rejoindre Hastié, qui les fait accueillir par Radama pour organiser et instruire ses troupes; puis viennent des missionnaires qui, en répandant les préceptes de la Bible, propagent la politique du gouverneur de Maurice. Il fallait toutefois une sanction éclatante à ces habiles manœuvres. Sir Robert Farquhar la trouva dans un traité qu’il fit signer à Radama pour la suppression de la traite des noirs, traité dans lequel Radama figure comme roi de Madagascar. Sous prétexte de l’indemniser des sacrifices qu’il fait, mais bien plutôt pour le tenir sous la dépendance de l’Angleterre, ce même traité alloue à Radama une pension annuelle de 60,000 piastres.

Après cet acte, sir Robert Farquhar ne craint pas de démasquer son dessein. En novembre 1821, il envoie à Sainte-Marie un bâtiment de guerre demander à quel titre nous y sommes installés et quels sont nos projets sur Madagascar. Le commandant répond qu’il est là par les ordres du roi de France, que tout le littoral oriental de Madagascar appartient à sa couronne, et qu’il proteste à l’avance contre toute atteinte qui serait portée à ces droits. C’était l’occasion que cherchait sir Robert Farquhar de proclamer la politique qu’il venait de faire triompher à Émyrne. En conséquence il déclare qu’il « ne considère Madagascar que comme une puissance indépendante actuellement unie avec le roi d’Angleterre par des traités d’alliance et d’amitié, et sur le littoral de laquelle aucune nation n’avait de droits de propriété, hors ceux que cette puissance serait disposée à admettre, — que cette puissance avait notifié au gouvernement de Maurice et au commandant des forces navales britanniques dans ces mers qu’elle ne reconnaissait de droits de propriété à aucune nation européenne[2]. »

Radama, fort de l’appui que lui donnait une pareille déclaration, veut rendre effective sa souveraineté sur toute l’île; guidé par Hastié et aidé par les officiers anglais, sans égard pour les protestations de notre commandant à Sainte-Marie, il marche à la tête d’une armée qui, grossissant chaque jour, atteint le chiffre de cinquante mille hommes sur la Pointe-Larré, s’empare de Tintingue, qu’il incendie, soumet à sa puissance tous les chefs qui s’étaient prononcés

  1. D’après un rapport à la chambre des communes du 10 juillet 1823, les dépenses pour Madagascar du gouvernement de Maurice, de 1813 à 1826, s’élèvent à 1,540,000 fr.
  2. Voyez Précis sur les établissemens français formés à Madagascar, publié en 1836 par ordre de l’amiral Duperré.