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ter les limites. Pour le moment toutefois, il ne se soucie pas de se risquer encore sous l’un de ces prétextes, et aura, je crois, recours à toute espèce de ruse plutôt que de donner ombrage à l’impératrice de Russie, dont l’amitié et le bon vouloir lui sont d’une utilité qu’il sait apprécier. J’avoue en même temps qu’au point où il a mené les choses, je ne puis m’empêcher de penser que tôt ou tard il tendra davantage la corde, et s’en fiera à l’influence qu’il exerce sur plusieurs cours et à la crainte qu’il inspire pour sauterie pas sans encombre. » (Dépêche du 12 janvier 1773.)


En Pologne, le désespoir ne s’exprime que par le découragement; on n’y résiste même plus, et c’est pour ainsi dire sur un cadavre inerte que s’exerce la rapacité des spoliateurs.


« J’ai maintenant la confirmation de ce que j’ai mandé à votre seigneurie sur ce qui se passe dans la diète. Le roi de Pologne a abandonné la lutte, et, la délégation nommée étant à l’entière dévotion des trois cours, nous n’aurons plus que peu ou point de bruit de ce côté. J’ai toutefois quelques raisons de croire que la cour de Vienne ne donne pas son assentiment à tous les projets du roi de Prusse, et que l’impératrice-reine s’oppose, contre l’attente générale, à ce que le démembrement de la Pologne soit poussé plus loin. J’apprends aussi qu’il y a eu, à cette occasion, des paroles fort vives échangées entre les deux cours, et bien que le retrait des prétentions du roi de Prusse semble, pour le moment, avoir remis les choses dans leur état antérieur, cependant il reste des traces de mauvaise humeur, et la cordialité, assez peu naturelle, qui existait entre les deux cours s’est sensiblement refroidie. » (Dépêche du 25 mai 1773.)


Frédéric ménageait moins l’Autriche que la Russie, et plus d’une fois de Vienne à Berlin on fut sur le point de se quereller; puis la réflexion vint de part et d’autre, et, au lieu de s’envier réciproquement de misérables empiétemens, on s’accorda pour se tailler en plein drap de larges compensations. M. Harris raconte admirablement ces scènes, d’un ton moitié sérieux, moitié railleur.


« J’ai tout lieu de croire que la dernière audience que M. de Swieten[1] a eue du roi avait pour objet de lui communiquer un projet de sa cour d’augmenter ses acquisitions en Pologne, et de les étendre vers le Kaminiec, au nord-est du Dniester, dans les palatinats de Brahilow et de Podolie. Sa majesté prussienne est entrée dans ces idées avec la plus grande cordialité, a traité M. de Swieten avec la plus parfaite bonne grâce, et lui a fait savoir que, de son côté, elle comptait ajouter à ses possessions polonaises tout le territoire qui s’étend entre Thorn et la Netze, et qui dépend des palatinats de Posen, de Kalish et de Cujavia. M. de Swieten était autorisé à accéder, au nom de sa cour, à cette proposition, et l’audience s’est terminée au milieu de vives protestations d’amitié et de bon accord. Je n’ai pas entendu dire que la Russie ait été consultée à cette occasion, et j’ignore

  1. Ministre d’Autriche à Berlin.