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allusion sans doute à son caractère impétueux, emporté, et cette désignation convient bien mieux à l’auteur de l’Apocalypse qu’à ce beau jeune homme blond, languissant, rêveur, que la peinture traditionnelle nous présente sous le nom de Jean l’Évangéliste. Il se montre, lui et son frère Jacques, dominé par une ambition non médiocre le jour où tous deux viennent demander à Jésus de leur assigner les deux premières places dans son royaume[1]. Il pousse ailleurs l’intolérance jusqu’à ne pas souffrir qu’on fasse du bien au nom du Christ dès qu’on ne le fait pas avec lui[2]. Il s’attire une vive réprimande du maître un jour qu’il a émis le vœu que le feu du ciel dévore une bourgade samaritaine qui n’avait pas voulu les recevoir[3]. Nous le retrouvons plus tard signalé par l’apôtre Paul parmi les directeurs influens de cette communauté de Jérusalem où le judéo-christianisme était si prononcé, si étroit[4]. Tout cela ne concorde-t-il pas trait pour trait avec l’auteur judéo-chrétien de l’Apocalypse, sa haine furieuse contre la société païenne, son antipathie contre les nicolaïtes ou pauliniens, son désir, sa hâte de voir venir le moment où il régnera sur le monde terrifié en qualité de serviteur fidèle du Messie ?

Tout cela, je le reconnais, est très frappant. Cependant je suis d’avis avec M. Volkmar que du moins le doute demeure très permis. Dans les premières lignes du livre, l’auteur parle de l’apôtre Jean comme d’un autre, et comme si son but était de rapporter une révélation que cet apôtre avait reçue concernant l’avenir prochain du monde. Il est difficile de penser que le fils du pêcheur Zébédée, le batelier du lac de Génésareth, eût fait des études rabbiniques suffisantes pour être en état d’écrire un livre saturé de rabbinismes comme l’Apocalypse. On s’attendrait à trouver dans ce livre quelques traits dénotant une connaissance personnelle, intime de Jésus, et il n’y en a pas. L’Apocalypse n’est pas un livre de vieillard : elle respire une ardeur, une passion, des illusions toutes juvéniles, et l’apôtre Jean, l’an 68 de notre ère, ne pouvait plus être jeune. Enfin rappelons-nous que la pseudonymie, ou le fait d’écrire sous un nom emprunté, ne fut pas seulement une des habitudes les plus constantes de l’antiquité religieuse, qu’elle fut très spécialement celle des écrivains apocalyptiques. Elle fait partie, peut-on dire, des conditions mêmes du genre. Si l’Apocalypse était authentique, elle serait la seule de sa nombreuse famille qui jouît de ce privilège pendant les trois siècles où cette famille fleurit et prospère. Il se pourra

  1. Marc, X, 35.
  2. Ibid., IX, 28.
  3. Luc, IX, 53.
  4. Gal., II, 9.