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comme le serpent, est moins clairement désigné que l’empereur. M. Volkmar inclinerait à penser que, dans un excès de zèle judéo-chrétien, l’auteur de l’Apocalypse aurait voulu dépeindre sous ces traits odieux l’apôtre Paul lui-même, ou tout au moins, puisque cet apôtre devait être mort depuis quelques années, le parti paulinien concentré dans sa personne. Il se fonde sur ce qu’aux yeux d’un révolté aussi décidé que notre prophète, les préceptes de Paul relatifs à l’obéissance due aux gouvernemens établis coïncidaient, moins l’exagération, avec les efforts du faux prophète pour propager partout le culte de la bête. Son argumentation, bien que fort ingénieuse, ne m’a pourtant pas convaincu. Il devrait tout au moins y avoir quelques indices plus caractéristiques de la personne de Paul. Comme son maître impérial, il aurait dû être miraculeusement rappelé à la vie pour accomplir sa mission diabolique. Il me paraît plutôt que, malgré sa mauvaise humeur évidente contre les doctrines pauliniennes, l’auteur de l’Apocalypse a laissé de côté la personne elle-même de ce grand apôtre, et que nous trouvons ailleurs la vraie signification du faux prophète.

La grande mode était alors à Rome de rechercher les devins, mages, astrologues, mathematici, de l’Orient, pour leur demander des oracles. Bien que poursuivis à chaque instant par les autorités civiles, ces intrigans réussissaient toujours à se fourrer partout, particulièrement à la cour[1]. Agrippine les avait chargés de tirer l’horoscope de son fils. Ils avaient tenu plus d’un fil dans les menées qui aboutirent au mariage de Néron avec Poppée. Cette princesse elle-même en était entourée, et, s’il faut en croire Josèphe[2], elle inclinait au judaïsme. Elle devait donc être assez bien initiée aux idées messianiques dont les devins et mages en question se servaient comme d’un thème fort riche à prédictions étonnantes. Enfin Néron lui-même, dans ses momens de superstition, — et il en avait souvent, — avait eu recours à leur art, et Suétone prétend qu’ils lui avaient prédit sa chute, son retour glorieux et la possession « du royaume de Jérusalem[3]. » Cela ne nous expliquerait-il pas pourquoi cet ignoble personnage regardait depuis longtemps du côté de l’Orient, lorsque survint la révolution qui le précipita du trône, agitant l’Asie et l’Égypte, nous dit Tacite[4], par des menées secrètes lors de son voyage en Grèce, cherchant toujours à se concilier la bienveillance des Parthes[5], ayant un moment l’idée de

  1. Valère Maxime, I, 3. — Tacite, Hist., I, 22.
  2. Josèphe, Antiq., XX, 8. — Tacite, Ann., XIV, 9.
  3. Suétone, Nero, 34, 36, 40.
  4. Tacite, Ann., XV, 36.
  5. Suétone, Nero, 47.