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suprême des derniers défenseurs de Sion. Ce détail atteste donc que l’Apocalypse a été écrite avant l’an 70[1]. Deux prophètes, dont les traits rappellent Élie et Moïse, sont envoyés pour convertir les habitans de Jérusalem et les gentils. C’était un enseignement des rabbins que ce retour des deux prophètes à la veille de la fin des temps; mais il serait bien possible que l’auteur, tout en les décrivant avec leurs attributs historiques, ait pensé à Jacques, frère de Jean, décapité sous Hérode-Agrippa, et à l’autre Jacques, vénéré par la première église comme frère du Christ, lapidé en 62. Ce qui est certain, c’est qu’ils sont tués par la bête montant de l’abîme, c’est-à-dire le pouvoir idolâtre. Leurs corps sans sépulture restent exposés quelque temps aux yeux des païens, lorsque tout à coup ils ressuscitent et remontent au ciel. Alors un tremblement de terre engloutit la dixième partie de la ville, de sorte que le reste se convertit[2]. Telle était en effet l’espérance qui permettait aux Juifs chrétiens de concilier leur patriotisme avec le fait que la grande majorité de leurs compatriotes refusait de reconnaître Jésus pour le Messie. A leurs yeux, cette incrédulité ne pouvait être que passagère, et avant la fin des temps il devait arriver infailliblement quelque chose qui ouvrirait les yeux du peuple élu, momentanément égaré. C’est la nation d’Israël représentée par la femme du chapitre XII, tout entourée du soleil, ayant sous ses pieds la lune et sur sa tête une couronne de douze étoiles (les douze tribus), c’est cette nation dans les douleurs de l’enfantement qui donne le Messie au monde, et la nation du Messie ne peut évidemment pas être toujours privée des bénédictions qu’il apporte à tant d’autres.

Mais voici bien autre chose : dans le ciel s’allonge un immense reptile couleur de feu, ayant sept têtes et dix cornes, sur ses têtes sept diadèmes. C’est lui qui désormais remplira le premier rôle dans le drame, car c’est lui, le grand adversaire, le vieux serpent, l’éternel séducteur; c’est Satan, qui, dans la folle ambition de vouloir détrôner Dieu, fait la guerre d’abord aux anges dans le ciel, puis aux saints sur la terre. Alors a lieu ce fameux combat entre lui et l’archange Michel, ce thème si souvent exploité depuis par la peinture et la statuaire. Le résultat en est que Satan, vaincu, expulsé du ciel, va continuer ses sombres machinations sur la terre.

Il commence en effet par poursuivre avec fureur la femme, c’est-à-dire

  1. Ainsi tombe d’elle-même la tradition légendaire qui voulait que l’Apocalypse eût été écrite sous Domitien, dans les dernières années du siècle, par l’apôtre Jean, plongé à Rome dans l’huile bouillante et relégué ensuite à Patmos.
  2. L’auteur, qui évalue à sept mille le nombre des victimes de cette catastrophe frappant la dixième partie de Jérusalem, suppose que la population de cette ville était alors de 70,000 âmes. C’est à peu près le chiffre que d’autres inductions feraient adopter.