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casques dorés d’où tombent des cheveux longs comme des cheveux de femme, à leurs dards qu’elles décochent en fuyant, il est facile de reconnaître la terrible cavalerie parthe. Elle est commandée par un ange de l’abîme qui s’appelle en hébreu Abaddon et en grec Apollyon, c’est-à-dire le destructeur[1], car l’auteur, pour certaine raison que nous saurons bientôt, désire que ses lecteurs connaissent aussi les noms hébreux des êtres malfaisans qu’il amène sur la scène. Ce qui prouve d’ailleurs que c’est du côté de l’empire parthe que la vision nous dirige, c’est qu’au son de la sixième trompette, ordre est donné de laisser le passage de l’Euphrate libre, afin que la redoutable armée puisse venir exercer ses ravages sur l’empire romain.

Il semble que la septième trompette n’ait plus qu’à sonner pour que la fin arrive... Mais non, de nouvelles suspensions à effet dramatique, de nouvelles mesures préparatoires la reculent encore, et plus nous avancerons, plus nous verrons désormais se dérouler l’histoire contemporaine de l’auteur.

Les dernières révélations sont précédées d’un immense roulement de tonnerre. Il semble qu’on batte aux champs dans les cieux pour que tout fasse silence, pendant que l’ange de la toute-puissance, un pied sur la terre, un autre sur la mer, jure au nom de Dieu « qu’il n’y aura plus de temps. » Il faut ensuite que le prophète dévore le petit livre qu’il porte en sa main. Ce livre est petit, puisqu’il ne contient que les quelques jours qui doivent s’écouler encore. Il est doux à la bouche comme du miel, car il annonce que Dieu va venger ses élus, et décidément la vengeance est douce à l’âme de notre Juif chrétien; mais il remplit les entrailles d’amertume, car cette vengeance se révélera par d’affreuses catastrophes. En attendant, le prophète reçoit l’ordre de mesurer le temple de Jérusalem et de s’arrêter, dans cet arpentage, au portique extérieur. En langage apocalyptique, cela veut dire que l’intérieur du saint édifice sera protégé divinement contre les assauts de l’ennemi, et ceci est très important pour la fixation de la date du livre, car il en résulte que l’auteur s’attend bien à ce que Jérusalem et même les abords du temple tombent au pouvoir des païens, mais non pas à ce que le temple lui-même soit pris et détruit. Nous savons en effet par l’histoire du siège de Jérusalem que tel fut l’espoir

  1. C’est le passage de l’Apocalypse où de pieux partisans de la sainte alliance se plaisaient à voir décrits dix-huit siècles d’avance les cuirassiers de la garde impériale, en même temps qu’ils rapprochaient le nom d’Apollyon de celui de Napoléon. Il y avait deux malheurs, entre plusieurs autres, inhérens à cette explication. C’est que les cuirassiers de la garde n’avaient pas l’habitude de combattre en fuyant, et que le nom d’Apollyon n’a aucun rapport avec celui de Napoléon, qui doit signifier Napolitains, Neapolis étant devenu partout Napoli.