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dans la vie quotidienne, séparait le Juif du païen, cette répugnance devenait de l’horreur. Il y voyait une trahison, une apostasie de la bonne cause, juste au moment où elle requérait le plus de stricte fidélité. Enfin, tandis que les tièdes et les faibles devaient se laisser aller à l’abattement sous le coup de ces persécutions et de cette guerre qui semblaient interdire tout espoir à l’église et à la nationalité juive, les forts devaient puiser, dans cet excès même du mal parvenu à son paroxysme, la certitude de sa prompte défaite. Plus ils étaient accablés, plus leur triomphe éclatant était sûr et prochain. Le moment, la situation, les croyances, les dispositions, tout appelait une apocalypse. Elle vint, et ce fut la nôtre, l’Apocalypse ou révélation de Patmos. Transportée au milieu de la situation politique et religieuse que nous venons de décrire, l’Apocalypse s’explique d’elle-même.

Comme le livre de Daniel, qu’elle imite beaucoup, elle a une introduction instructive, homilétique plutôt que révélatrice, et se compose pour le reste de visions emboîtées l’une dans l’autre par un procédé assez curieux. Elle part de la supposition que le moment de la grande catastrophe est proche[1], et que Jean, serviteur du Christ, a reçu l’ordre d’en faire connaître les indices et les péripéties. Appliquant à sa manière un des chiffres donnés par le livre de Daniel, l’auteur calcule que le monde et la société du moment où il écrit n’ont plus que trois ans et demi à durer[2]. Cette proximité fait que les fidèles doivent redoubler de sévérité envers eux-mêmes, d’intolérance envers tout ce qui est païen, et se garder de tout ce qui ressemblerait à une souillure. De là ces messages adressés à sept églises importantes d’Asie-Mineure, représentant évidemment aux yeux de l’auteur la totalité de l’église chrétienne, car le nombre sacré 7 est divin, et signifie, tout le long du livre, ce qui est complet, achevé, à qui rien ne manque, au point que l’esprit de Dieu lui-même se décompose en sept esprits siégeant devant son trône. Ces sept messages, à part quelques différences peu essentielles, roulent sur le même thème : il faut être plus fidèle que jamais. Ce qu’il y a de plus saillant dans les reproches ou les avertissemens qu’ils énoncent, c’est la rudesse avec laquelle l’auteur attaque un parti qu’il stigmatise tantôt comme celui des faux apôtres, « qui se disent apôtres et ne le sont point, » tantôt comme le parti des balaamites ou des nicolaïtes, deux mots qui, le premier en hébreu, le second en grec, signifient « corrupteurs » ou « destructeurs du peuple. » Il n’en a pas fallu davantage pour que les pères, se rappelant que parmi les diacres de Jérusalem il y en avait un nommé Nicolas, fissent de ce brave homme le premier des

  1. 1, 13; II, 5, 16; III, 11 ; XI, 14; XXII, 6, 10.
  2. XI, 2, 3; XII, 14.