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allégoriques, arbitraires, transformant par exemple en années ce que les textes donnaient comme des jours, ou bien en choses personnifiées les êtres personnels et concrets figurant dans les descriptions prophétiques. Tel fut surtout le cas lorsqu’une popularité exceptionnelle eut ouvert à deux de ces livres (celui de Daniel et l’Apocalypse de Jean), l’entrée du canon juif et chrétien. Depuis lors, il fut admis d’avance, par tous leurs interprètes, que de tels livres ne pouvaient contenir aucune erreur, et comme chaque siècle eut ses tyrans et ses victimes, ses persécuteurs et ses persécutés, chaque siècle aussi crut s’y reconnaître.


II

Désormais notre attention se concentrera sur l’Apocalypse proprement dite. De ce qui précède il résulte que, pour faciliter l’intelligence de ce livre si obscur en apparence, il nous faut rappeler avec quelques détails l’état de l’empire et de l’église au moment où il fut écrit.

On était en l’an 68 de notre ère. La Judée était en pleine révolte; les Parthes menaçaient les extrémités orientales de l’empire; Néron venait de tomber du trône. Quatre ans étaient à peine écoulés depuis le terrible incendie qu’il avait fait allumer à tous les coins de sa capitale, afin sans doute de la reconstruire sur un nouveau plan et à moins de frais. Avec une infernale adresse, il avait su détourner sur les chrétiens, déjà mal vus, les colères du peuple, et une persécution atroce avait sévi, surtout à Rome, contre les disciples du crucifié. Très aimé de la populace, assez bien vu dans l’armée d’Italie, qui respectait en lui le dernier des césars, mais détesté de la population honnête et de l’aristocratie, Néron avait disparu subitement, d’une manière mystérieuse, inexplicable, au premier bruit de la révolution qui s’avançait à pas rapides. En même temps sa chute soudaine provoquait le premier grand ébranlement qui, depuis les jours d’Auguste, eût mis en question le maintien de l’empire. Sans doute c’étaient des généraux romains que ces Galba, ces Othon, ces Vitellius, dont les pronunciamientos se succédaient coup sur coup; mais ce n’en était pas moins des provinces que la révolution anti-césarienne était sortie. A côté d’eux Vindex, un Gaulois, n’avait-il pas osé arborer l’étendard de l’insurrection? En Afrique, en Germanie, en Gaule, en Mœsie, en Asie, les légions, proclamaient à l’envi l’une de l’autre de nouveaux empereurs. Le secret de l’empire était divulgué; on savait désormais qu’on pouvait faire un empereur ailleurs qu’à Rome, et il n’y avait pas de raison bien visible pour que ce gigantesque assemblage de nationalités conquises ne se disloquât point en cent morceaux. L’année qui vit monter Galba