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de consolation comme autrefois, mais un livre. De plus, la prophétie apocalyptique met en saillie, d’une manière presque exclusive, ce qui n’était qu’un élément secondaire de la prophétie antérieure, je veux dire la prédiction, et c’est à elle surtout qu’est due la confusion qui depuis s’est établie presque généralement entre prophétiser et prédire l’avenir. Ses allures à dessein mystérieuses, son langage perpétuellement symbolique, supposant que ceux qui le comprennent sont initiés à ses secrets et à ses finesses, en font une littérature de gens opprimés, qui ne peuvent parler tout haut, mais qui se consolent de l’oppression brutale dont ils sont les victimes en méprisant, du haut de leur supériorité intellectuelle et religieuse, leurs maîtres du moment, qui ne connaissent pas comme eux les décrets divins, et qui, dans leur orgueilleuse folie, courent en insensés au-devant de leur perte. En particulier, il est un trait de la littérature apocalyptique qu’il faut noter : l’amour du bizarre. Ne voyons là rien d’arbitraire. Ce genre naît en effet des démentis étonnans, crians, que les faits infligent aux espérances fondées sur la foi religieuse, et il aspire à montrer que le croyant doit rester ferme dans sa profession en dépit des contradictions apparentes du moment, quelle que soit, à son point de vue de croyant, la bizarrerie des événemens qui se succèdent. Il est naturel que l’explication de choses bizarres le soit elle-même. De là ce goût de l’étrange, du monstrueux, du colossal, ce goût que la prophétie antérieure chez ses derniers représentans, un Ézéchiel surtout, avait déjà contracté sous des influences ninivites et babyloniennes, mais qui se donnera désormais pleine carrière dans la littérature apocalyptique. Du reste, il s’en faut que tout soit antipathique à notre esprit moderne dans ce genre d’écrits religieux qui sont comme le romantisme du prophétisme. Notre goût s’insurge souvent contre les images impossibles dont il use et abuse. Qu’est-ce qu’une corne qui a des yeux d’homme et qui profère des blasphèmes? A peu d’exceptions près, les descriptions apocalyptiques se refusent à la peinture et à la statuaire ; mais on doit fréquemment admirer la vigueur, la terrifiante énergie des tableaux. Il y a des coups de théâtre vraiment imposans, et les auteurs savent, avec un art très réel, disposer leur mise en scène, graduer leurs images, suspendre leurs dénoûmens, de manière, à produire de puissans effets de surprise ou de terreur. Enfin, toute réserve faite sur les erreurs, les illusions grossières et les oblitérations du sens moral que le point de vue de ces auteurs engendrait en quelque sorte fatalement, il faut reconnaître que deux grandes et fécondes idées, qui depuis ont fait du chemin dans le monde, prennent leur source dans leurs écrits. La première, c’est que le mal et l’erreur, destinés à être finalement et infailliblement vaincus, ne le sont toutefois qu’après avoir jeté tout leur venin, manifesté