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goulu de Médie, le brillant léopard persan et l’animal sans nom qui ne ressemble à rien de ce qu’on a vu auparavant, qui vient d’au-delà des mers, en qui tout est nouveau, langue, habitudes, couleurs, religion : c’est l’empire grec provenu des conquêtes d’Alexandre. Cet empire a dix cornes, savoir les dix princes grecs qui ont régné sur la Syrie depuis et y compris Alexandre ; mais il en pousse une onzième qui a des yeux d’homme et qui vomit le blasphème : cette dernière corne, la plus terrible, n’est autre qu’Antiochus Épiphane en personne[1]. Elle n’en est pas moins mise à mort, les animaux qui l’ont précédée sont réduits à l’impuissance, et alors l’image d’un homme, comme un fils d’homme, vient sur les nuées du ciel se présenter devant Dieu et recevoir de lui l’empire universel. Cette forme humaine représente le peuple d’Israël concentré dans son Messie, et parvenant sous sa direction à cette domination sur le monde entier à laquelle il aspire. Il ne faut pas contester la belle et grande idée cachée sous ces symboles bizarres, cette idée de la domination finale de l’esprit et de la religion de l’esprit sur la nature et les religions de la nature. D’autre part, on ne peut nier qu’elle revêt aux yeux de l’écrivain juif des formes encore bien étroites et matérielles. Ajoutons que, d’après la prédiction, le temps d’angoisse qui précédera les jours de bonheur et de gloire doit durer trois ans et demi (la moitié du saint nombre 7 et la durée approximative de la guerre de l’indépendance), de telle sorte que les premiers lecteurs du livre de Daniel purent espérer le très prochain accomplissement des espérances qu’il renferme.

Telle fut la première apocalypse, et, comme nous l’avons dit, les conditions du genre furent désormais fixées. Il se rattachait à l’ancienne prophétie en affirmant comme elle, en dépit des apparences les plus décourageantes, le triomphe assuré des bonnes causes; mais il s’en distinguait à bien des égards qu’il importe de préciser.

En premier lieu, autant la prophétie ancienne était spontanée, de premier jet, autant la prophétie apocalyptique est réfléchie, calculée, tranchons le mot, arrangée. Une symétrie rigoureuse relie les diverses parties les unes aux autres. Les symboles, les visions s’enchaînent et s’expliquent mutuellement, et telle énigme posée au commencement du livre ne trouve sa solution qu’à la fin. En un mot, on veut faire désormais, non plus des discours de censure ou

  1. L’identité d’Antiochus Épiphane et de la dernière corne « aux yeux d’homme et proférant des blasphèmes (V'II, 8) » ne fait plus doute aujourd’hui dans la science. Les preuves surabondent. Un seul détail de la description qui la concerne laissait encore place à quelque hésitation, savoir les trois cornes arrachées par elle; il est aujourd’hui éclairci. Il résulte en effet de recherches récentes, appuyées sur les Fragments Hist. Grœc, IV, 558, de M. Müller, qu’Antiochus jeta à bas du trône son prédécesseur Héliodore, fit périr son neveu, fils de son frère Séleucus IV, et passa dans l’opinion des Juifs pour le meurtrier de ce Séleucus lui-même.