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certaines mains salariées dans l’ombre pour renouveler, au talent près, l’entreprise autrefois tentée par Pierre Arétin, Jules Romain et Marc-Antoine, pour enchérir même sur ces honteux exemples? Qu’il nous suffise d’indiquer de loin de pareils méfaits. Il n’est pas besoin sans doute de descendre jusque-là pour recueillir les preuves de l’abaissement de la lithographie. Cette décadence ne ressort que trop bien de l’examen des œuvres qu’on peut du moins interroger en face et des témoignages de divers genres que nous avons essayé de rappeler.

Les artistes qui, après avoir suscité ou confirmé les progrès de la lithographie en France, ont, sauf Gavarni, disparu de la scène, n’ont pas laissé de successeurs parmi nous. L’art lui-même, sans être tout à fait tombé en désuétude, n’a plus aujourd’hui qu’un semblant de vie, un rôle subalterne, soit qu’il se fasse l’auxiliaire de la photographie, soit qu’il approvisionne de ses produits directs les écoles d’enfans ou les magasins d’éventails, de cartonnages, d’autres objets ayant une destination plus humble encore. Un nouveau procédé, il est vrai, la chromo-lithographie[1], a pu dans quelques occasions restituer une certaine importance aux travaux du crayon, ou tout au moins en relever les caractères industriels par la dignité même des modèles. Des ouvrages recommandables ont été exécutés au moyen de ce procédé, et il n’est que juste de citer parmi les meilleurs spécimens chromo-lithographiques les fac-similé des miniatures qui ornent les célèbres Heures d’Anne de Bretagne ou d’autres manuscrits précieux, la reproduction par M. Kellerhoven des peintures sur la Légende de Sainte-Ursule à Cologne, et surtout la copie par le même artiste du tableau de Memling conservé à l’académie de Bruges, le Baptême de Jésus-Christ. Il s’agit toutefois ici de tentatives et de découvertes ne se rattachant qu’indirectement au mouvement que nous cherchons à indiquer, d’une diversion plutôt que d’un progrès. Avec ses conditions et sa fonction toutes spéciales, la chromo-lithographie ne fait qu’apporter un surcroît de ressources à l’art d’interpréter les œuvres d’autrui. Elle ne pourrait que par exception nous transmettre les résultats immédiats de l’invention personnelle, et, dans ce cas-là même, la complication des moyens d’exécution donnerait au travail une physionomie à part, une signification indépendante du sens et des formes d’expression propres à la lithographie.

La régénération de celle-ci ne saurait donc être la conséquence des modifications, quelles qu’elles soient, des perfectionnemens introduits ou à introduire dans la pratique du nouveau procédé. Elle ne peut s’accomplir que par un mouvement de retour vers les doctrines originelles et les traditions de l’art lui-même, par une étude

  1. On appelle ainsi la lithographie coloriée sans le secours du pinceau et par le seul fait, des contacts successifs d’une épreuve avec plusieurs pierres préalablement teintées.