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tenter une plume habile entre toutes à nous révéler chez autrui les plus secrètes délicatesses et à y ajouter l’influence de ses propres exemples : qu’il nous suffise d’indiquer quelque chose des caractères extérieurs de ce talent en isolant, autant qu’il se pourra, les mérites du dessinateur, des leçons proposées par le moraliste, et la grâce dans l’exécution des hardiesses ou des finesses de la pensée.

Pour les premières œuvres de Gavarni, on n’a pas à établir cette distinction. Il ne s’agit, en effet ici que de pures fantaisies pittoresques, d’une suite de travestissemens imaginés avec goût, tracés d’un crayon élégant, beaucoup plus spirituel et plus leste que le burin employé alors à l’illustration des journaux de modes ; mais ce crayon ne fait encore que traduire des intentions, absolument frivoles, qu’esquisser des formes tout artificielles et fort étrangères assurément à l’expression d’une idée philosophique, si modeste qu’elle soit. Peu à peu cependant ce qui n’était qu’une image presque inanimée, la simple effigie d’un costume, prend l’accent de la vie et d’une vie aussi fidèlement reproduite dans ses habitudes intimes que dans ses dehors. Au lieu d’apparaître isolément et de servir de prétexte à des ajustemens capricieux, les figures se groupent et participent à des scènes dont quelque souvenir de carnaval ferai encore les frais sans doute, mais qui auront du moins une signification définie. Cette veine une fois trouvée, Gavarni l’exploitera avec une intelligence des sujets de plus en plus profonde, avec un mélange singulier de curiosité et de compassion pour les tristes folies, pour les misères fardées de joie qu’il a entrepris de retracer. Pendant plusieurs années, il déroulera dans une série d’épisodes expressifs l’histoire des aberrations de tout genres des amours vénales, des gaîtés malsaines, dont un travestissement, est la livrée, et l’atmosphère d’un bal public, l’aliment ; puis, quand le lendemain sera venu pour ces faux plaisirs ou ces orgies, quand le silence aura succédé à tout ce bruit, la première ride à cet épanouissement éhonté de la jeunesse, nous retrouverons l’enfant prodigue sous les verrous d’une prison pour dettes ou l’héroïne amaigrie des bals masqués parmi les comparses de quelque théâtre. Un jour enfin il n’y aura plus pour les complices de tant de fautes lointaines que le regret amer, l’isolement ou l’ignominie, les infirmités ou la faim, et le même crayon qui nous avait raconté les commencemens du roman nous en donnera la conclusion dans deux suites parallèles, — les Invalides du sentiment, et les Lorettes vieillies. Sévère enseignement sous des formes, familières, plaisantes même, que cette image en partie double de la vie faite aux hommes qui n’ont pas su se préparer une vieillesse, et aux pauvres créatures tombées du haut de leur luxe dans le ruisseau ! Vivante galerie où ne manque le portrait d’aucun de ces vétérans du vice, depuis le Faublas