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au point de laisser soupçonner quelque fraude matériel là où il n’y a en réalité qu’un art et des combinaisons légitimes.

En traçant ses croquis sur différens sujets, Decamps avait prouvé que, dans la lithographie comme ailleurs, il n’entendait rien démentir, rien sacrifier de la manière et des doctrines que son nom avait commencé de personnifier. A cet égard toutefois, ses intentions n’allaient pas au-delà des caractères extérieurs du travail, et l’on ne pourrait, en effet, attribuer une significations plus sérieuse à ces petites scènes morcelées, à ces formes interrompues comme les inspirations qu’elles traduisent, ou diversifiées, au courant de la fantaisie, suivant l’espace qu’il s’agissait de remplir. Le moment était venu pour le jeune maître de grouper dans des ouvrages achevés, dans de véritables compositions, les éléments qu’il avait jusqu’alors recueillis un à un : il fallait que, tout en continuant un style et un faire particuliers, il les consacrât à l’expression d’idées complètes et, de faits vraisemblables. Quelques beaux dessins, représentant des scènes ou des paysages de l’Orient, de nombreux sujets de chasse et jusqu’à de simples vignettes pour des romances montrent qu’en cédant à ces préoccupations nouvelles, Decamps n’y perdit pour cela ni sa verve primitive ni l’indépendance de son sentiment. Le tout, au contraire, achève de mettre en relief les qualités que les essais précédens permettaient déjà de pressentir. Plus correctes dans les formes, mais d’une correction sans pédantisme, plus raisonnablement ingénieuses dans l’invention, ces lithographies l’emportent également sur les croquis que nous avons mentionnés par l’habileté avec laquelle le procédé lui-même est manié en vue du ton et de l’effet. Les deux collections de sujets de chasse surtout attestent à cet égard un progrès remarquable; elles caractérisent aussi nettement la manière de l’artiste qu’elles nous font comprendre jusqu’où vont, en matière de coloris, les droits du crayon et quelles réserves lui sont imposées.

A ne l’envisager que comme lithographe coloriste, — s’il est permis d’employer ce mot à propos d’œuvres d’où la couleur proprement, dite, est absente, — Decamps mérite d’occuper une des premières places dans l’école à laquelle appartiennent Bonington et Delacroix. Moins délicat, il est vrai que le premier de ces deux maîtres, moins instinctivement inspiré que le second, il a de commun avec l’un et l’autre le goût des partis francs, des harmonies, ou des contrastes sans équivoque. Il sait vouloir jusqu’au bout ce qu’il veut dire tout ce qu’il pense, exprimer hardiment ce qu’il a senti. Que ce soit chez lui affaire d’âme ou de cerveau, qu’il y ait sous cette franchise même un fonds de calculs plus ou moins laborieux, dans ce besoin d’être soi plus d’efforts peut-être que d’entraînemens