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notre pays depuis l’époque où la lithographie y a été importée. Que sera-ce si l’on ne prend pour terme de comparaison que les œuvres appartenant à l’école dont Delacroix était le chef ? Malgré l’ardeur de leur zèle et leur extrême fécondité, la plupart de ceux qui, à l’exemple du maître, travaillaient à commenter sur la pierre la nouvelle doctrine, à en propager les formules et l’esprit, — presque tous ces disciples d’un art qu’ils croyaient si bien promis à la vie n’ont laissé que des témoignages à peu prés oubliés aujourd’hui, ou qu’on ne revoit plus qu’avec ce triste sourire qui accueille les modes en retard et les audaces surannées.

N’est-ce pas toutefois à ce groupe quelque peu turbulent des anciens romantiques que se rattachent par certains côtés deux talens plus calmes en apparence auxquels la lithographie est redevable de progrès notables dans des genres différens, progrès dont on aurait sans doute à tenir un compte plus sérieux encore, si l’un des deux artistes qui les ont déterminés n’eût succombé avant les dernières années de la jeunesse, si l’autre, après avoir brillamment conquis et nettement marqué sa place, n’eût été condamné, pendant une grande partie de sa vie, à se consumer dans des travaux au-dessous de lui, et à dépenser en menue monnaie une somme de qualités considérable ? Nous voulons parler de Bonington et d’Achille Devéria.

Bonington, que son origine anglaise ne saurait exclure du nombre des peintres dont les noms appartiennent à l’histoire de la lithographie en France, puisque c’est dans notre pays qu’il est venu s’instruire et qu’il a ensuite fait ses preuves, Bonington est le représentant le plus remarquable d’un genre bien souvent exploité de son vivant ou après lui, — la reproduction par le crayon des monumens de l’architecture au moyen âge. Dès le début au reste, une occasion précieuse a était offerte au jeune artiste de révéler à cet égard ses aptitudes. Au moment à peu près où il achevait son apprentissage dans l’atelier de Gros, c’est-à-dire vers 1823, les premières livraisons des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France venaient de paraître, et le temps était loin encore où cette grande publication, si heureusement commencée, si profitable d’abord aux progrès de la lithographie, deviendrait ce que nous la voyons aujourd’hui, une interminable série de pièces dessinées vaille que vaille, entremêlées même d’épreuves photographiques, et n’intéressant plus l’art, à vrai dire, que par les caractères inhérens aux modèles choisis. Enrôlé de bonne heure parmi les dessinateurs qui devaient reproduire les vieux édifices de la Normandie et de la Franche-Comté, Bonington contribua plus qu’aucun de ses collaborateurs au succès qu’obtint dès l’origine et que mérite encore la