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et d’ailleurs le caractère un peu solennel des moyens dont elle dispose lui interdisait de viser à l’expression railleuse et à l’épigramme, sous peine de se contredire elle-même. C’est ce qu’elle a pourtant essayé de faire quelquefois, mais avec un insuccès qui s’explique, de reste. Rien de moins piquant qu’une caricature tracée avec le burin, rien de plus déplaisant que ce désaccord entre un mode d’exécution inflexible et la souplesse présumée des intentions, entre ces formules laborieuses et la légèreté des pensées qu’elles traduisent. Là où il s’agissait de se faire entendre à demi-mot, de résumer en quelques traits une fantaisie comique, on n’aura réussi qu’à l’affubler de précision pour ainsi dire et à immobiliser le sarcasme sous des apparences rigides. Avec le procédé lithographique, point de ces contre-sens ni de ces méprises. La rapidité même et la facilité du travail laissent ici à l’intention satirique le caractère d’improvisation qui convient ; la verve, au lieu de venir se heurter contre les difficultés et les lenteurs d’une pratique sans merci, trouve pour s’épancher une voie où tout l’invite, où nul obstacle matériel ne se rencontrera pour la détourner du but, pour la décourager par quelque retard.

On conçoit donc l’empressement des artistes à essayer de cette voie nouvelle et, les passions politiques aidant, l’immense succès qu’obtinrent au temps de la restauration les lithographies où les crayons d’Horace Vernet et de Charlet dénonçaient, souvent avec plus d’entrain que de justice, les habitudes surannées où les secrètes ambitions des survivans de l’ancien régime. Il y avait là, dans ces épigrammes dessinées sur les Voltigeurs de Coblentz, en regard des héroïdes tracées par les mêmes mains en l’honneur des Soldats laboureurs ou des proscrits du Champ d’asile, un commentaire et comme un renouvellement sous une forme plus populaire encore, des Chansons de Béranger et des Pamphlets de Paul-Louis Courier. La route une fois ouverte, on s’y précipita, sauf à la côtoyer un peu plus tard et à se frayer quelque sentier en dehors du terrain politique. Tandis que M. Bellangé et plusieurs autres se contentaient de suivre de point en point les exemples de Charlet et d’insister, après le maître, sur les grands souvenirs de l’époque impériale ou sur l’image plus ou moins partiale des infortunes de l’heure présente, MM. Pigal, Henri Monnier, Eugène Lami, cherchaient et trouvaient dans la lithographie un moyen de publicité et de succès pour des scènes de mœurs au-dessous de la dignité du pinceau ou du burin, mais bien en rapport, par leur agrément même, avec les conditions du nouveau procédé. Enfin, au bout de quelques années, un talent doué au fond d’une rare pénétration bien qu’un peu dépourvu dans les formes d’aisance et de vivacité,