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relit, pour les goûter mieux et de plus près, des vers que l’on sait par cœur; on écoute avec une attention fertile en découvertes, telle composition musicale entendue cent fois déjà : le talent de Charlet a des ressources et une portée assez vastes pour qu’on puisse, en ce qui le concerne, tenter utilement une expérience analogue, et certes il mériterait d’y être soumis.

Aussi bien, parmi ces pièces appartenant à la première manière du maître, tout n’offre pas les mêmes caractères de consécration, le même intérêt prévu, la même apparence surannée. Si, en raison des sujets choisis et des souvenirs patriotiques qu’i s’y rattachent, beaucoup d’entre elles ont acquis dès l’origine une immense popularité, nombre d’autres, et des plus belles, sont demeurées à peu près ignorées de la foule, parce que, au lieu de représenter quelque grand drame de notre histoire militaire, elles nous en montrent simplement les acteurs hors des rangs et au repos. Et cependant nulle part mieux qu’ici Charlet n’a prouvé la vigueur de son sentiment, la pénétrante justesse de son coup d’œil, la singulière habileté de sa main. Plus d’une fois, en célébrant l’intrépidité de nos soldats à l’heure de la lutte ou leur héroïque fierté dans les revers, il lui est arrivé de donner au panégyrique des dehors un peu trop véhémens une grandeur un peu théâtrale. Pour ne citer que cet exemple, dont le théâtre d’ailleurs n’a pas manqué de faire son profit, une des lithographies qui ont le plus profondément ému nos pères, la lithographie intitulée les Grenadiers de Waterloo, nous apparaît aujourd’hui comme un ensemble de groupes répartis sur la scène au moment de la chute du rideau y comme une sorte de tableau final. Là au contraire où Charlet se propose seulement de résumer dans un type, dans l’imitation sincère d’un mouvement ou d’une attitude, la physionomie générale et les mâles coutumes de notre armée, il trouve, pour traduire sa pensée, un style aussi éloigné de l’emphase que de la sécheresse. Veut-on des preuves, et des preuves irrécusables, qu’on examine ces deux figures dessinées en 1822 et représentant, dans d’assez grandes dimensions, l’une un Voltigeur, l’autre un Carabinier de l’infanterie légère : Géricault n’aurait pas exprimé en des termes plus saisissans l’énergie de l’âme et la force physique; Horace Vernet n’aurait pas surpris avec plus de clairvoyance, ni rendu avec plus de finesse certaines habitudes héroï-comiques, certaines allures à la fois gauches et martiales de ces deux corps faits pour l’action, et qui s’en souviennent jusque dans le calme. En tout cas, ni Vernet, ni Géricault, ne se seraient trouvés en mesure d’établir une harmonie aussi complète entre des élémens qui semblent s’exclure, de mélanger aussi bien l’arrière-pensée spirituelle et l’intention grandiose,