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plus ou moins vraisemblable d’un fait frivole, d’un accident, d’un ridicule. Soit ; n’est-ce rien toutefois, pour parler avec Molière, que « de faire rire les honnêtes gens, » et dans « cette étrange entreprise » en compte-t-on beaucoup qui aient réussi ? Parmi ceux qui l’ont tentée en se servant de la langue pittoresque, Horace Vernet, par la date comme par l’agrément de ses ouvrages, mérite de figurer au premier rang. Il est, dans un ordre de travaux secondaires, un des représentans les mieux doués, les plus diserts, de cet art, avant tout ingénieux, où le crayon n’exprime guère, il est vrai, que ce qu’aurait pu exprimer aussi bien la parole écrite, où l’exactitude judicieuse de la narration prévaut sur l’imagination personnelle du narrateur, et la préoccupation ou l’instinct littéraire sur le sentiment pittoresque proprement dit : art tout français d’ailleurs, dont il ne faut pas faire trop généreusement bon marché, de peur de sacrifier en même temps une partie des titres qui appartiennent le plus sûrement à notre école et de répudier certains privilèges intellectuels qui, depuis la raison souveraine de Poussin jusqu’à l’alerte sagacité d’Horace Vernet, se succèdent chez nous sans se contredire, se continuent sous toutes les formes et s’accusent à tous les degrés.

Le genre de mérite qui caractérise les lithographies de Géricault lui-même n’est pas, malgré l’indépendance de la manière, un démenti à ces traditions du génie national. Sans doute on ne rencontrera plus ici les témoignages de cette facilité aimable, de cette élégance d’esprit d’où le talent d’Horace Vernet tire sa signification principale et son charme : vainement aussi l’on y chercherait l’empreinte des longs calculs, des combinaisons patiemment élaborées ; mais le fonds de bon sens commun aux artistes de notre pays, et qu’on démêle à l’état d’instinct même sous les dehors les plus capricieux, se retrouve dans les inspirations et dans les œuvres de Géricault. Il n’est pas jusqu’aux premiers essais du maître, jusqu’à ces impétueux croquis dont nous accusions les exagérations il y a un instant, où l’on ne puisse surprendre parfois les indices d’une docilité involontaire aux aptitudes et aux coutumes de l’art français. Qu’on jette les yeux par exemple sur cet Artilleur qui, du haut d’un caisson ouvert et démonté où il s’est réfugié pour trouver la mort, menace une dernière fois l’ennemi, ou préférablement encore sur le Factionnaire suisse au Louvre ; on sentira dans ces deux compositions une vraisemblance intime, une vie morale, dont la nouveauté du moyen matériel employé ne fait en réalité que rajeunir les termes, et qui, malgré les incorrections ou les témérités du style, révèle chez l’artiste une certaine conformité naturelle avec ses devanciers. Suit-il de là que nous prétendions mettre en question