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séries de notes qu’il avait tracées avec un crayon gras sur une pierre plus propre qu’une autre à en retenir l’empreinte, peut-être trouvait-il le dernier mot d’un secret qu’on avait cherché à deviner ailleurs en vue d’une application différente, peut-être ne faisait-il que compléter à son insu les recherches tentées par autrui et formuler en termes décisifs ce que de moins habiles avaient su seulement pressentir ou indiquer à demi. Le document que nous avons mentionné ne laisse pas d’autoriser le doute à ce sujet; il témoignerait au moins chez un de nos compatriotes d’un empressement singulier à s’informer du moyen nouveau et d’un louable désir d’en divulguer au plus tôt les bienfaits.

Quoi qu’il en soit, et les questions strictement chronologiques une fois réservées, la lithographie n’existe, à vrai dire, en France et n’y fait ses preuves qu’à partir du moment où les deux Vernet, Géricault, Charlet, entreprennent de l’approprier aux exigences de l’art et aux conditions particulières de leur talent. Encore quelques années s’écoulent-elles avant que ces premiers instigateurs du progrès aient achevé de répudier leurs propres incertitudes pour se fier pleinement à un procédé interrogé d’abord par les uns avec une prudence excessive, par les autres avec une sorte d’imprévoyance et de rudesse voisine de la brutalité. On sait que la lithographie ne permet ni les repentirs, ni les retouches, celles du moins qui auraient pour objet la transformation radicale des contours ou du modelé. Chaque trait, une fois indiqué sur la pierre, y reste et se reproduira sur le papier; chaque forme, défectueuse ou non, que le crayon aura figurée gardera sa signification première, son apparence indélébile. De là, sans doute, les caractères contraires, mais résultant au fond des mêmes inquiétudes, que présentent les œuvres où des artistes bientôt célèbres en étaient encore à expérimenter le moyen. De peur de commettre, dans la valeur relative des tons ou dans l’effet, quelque erreur matérielle qu’il ne pourra réparer, Horace Vernet, par exemple, se condamne à n’esquisser que de maigres silhouettes à peine renforcées d’ombres pâles; de peur de traduire incomplètement les intentions énergiques qu’il lui aura fallu accuser du premier coup, Géricault en exagère l’expression jusqu’à la violence; sans prendre même le temps d’affiner son crayon, il trace d’une main emportée, il charbonne plutôt qu’il ne dessine quelque groupe à l’aspect emphatique comme le Cuirassier aveugle guidé par un Grenadier manchot, ou comme ce Convoi de blessés dont la belle ordonnance pittoresque disparaît presque sous la grossièreté de la pratique et sous l’ostentation de la vigueur. Les deux maîtres toutefois ne tarderont pas à faire justice eux-mêmes des entraînemens ou des craintes qu’ils auront subis au début. La fougueuse