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aux conditions originelles du procédé, et constater malheureusement la décadence de la lithographie là où elle affiche le plus de prétentions au progrès, à la certitude, à la possession absolue de ses ressources. Les fâcheux exemples de dessin où l’indication sincère de la forme est sacrifiée à la symétrie des hachures et à d’inutiles tours d’adresse, les reproductions de tableaux où le crayon cherche à simuler dans le ton, dans le modelé, une intensité et un relief qu’il n’appartient qu’au burin d’exprimer, — toutes ces banalités, ces contrefaçons, ces équivoques, ne servent qu’à fausser la notion et l’usage d’un moyen fort net en soi pourtant, fort exactement approprié à certaines conditions de l’art.

La lithographie ne saurait prétendre à une rivalité impossible avec la gravure. Quoi qu’on tente en ce sens, la gravure gardera toujours les privilèges que lui assurent ses élémens mêmes et ses lois nécessaires; mais si la lithographie est forcément impuissante à nous expliquer le fond des choses, s’il lui est interdit de reproduire rien de plus que des apparences un peu sommaires et des formes un peu flottantes, il ne s’ensuit pas qu’elle n’ait, dans les limites qui lui sont assignées, ni une action utile à exercer, ni une part d’honneur à conquérir. Les beaux dessins sur pierre publiés en France, depuis les premiers ouvrages de Charlet et de Géricault jusqu’aux derniers travaux de Raffet et de Gavarni, sont à cet égard parfaitement significatifs. Ils prouvent de reste que le crayon, lui aussi, peut être pour l’art un instrument de progrès, qu’en pareille matière tout dépend des intentions auxquelles l’artiste s’arrête et des ambitions qu’il écarte, qu’enfin le procédé lithographique, judicieusement employé, devient quelquefois plus favorable qu’aucun autre au développement et à la popularité de certains talens. Si secondaires qu’ils paraissent, des succès ainsi obtenus ne laissent pas de compléter la gloire d’une école et d’ajouter un contingent considérable à des titres plus solennels, à des succès plus laborieusement acquis.

L’école française en particulier devait adopter avec empressement et pratiquer bientôt, sans effort ni méprise d’aucune sorte, un moyen si naturellement conforme à quelques-uns de ses plus chers instincts. La lithographie, en vertu même de sa simplicité ou, si l’on veut, de son insuffisance pittoresque, s’adresse à l’intelligence au moins autant qu’aux regards du spectateur ; elle laisse à celui-ci le soin d’achever par la pensée ce que le crayon n’a exprimé qu’à demi. Soit qu’elle reproduise sans commentaire un fait ou un trait de mœurs, soit qu’elle en esquisse l’image au-dessus d’une légende explicative, elle suffit pour contenter cet esprit littéraire que nous apportons en général dans l’examen des œuvres de l’art, ou du