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mis bon ordre. Il n’en reste pas un vestige, et toutes les précautions ont été prises pour en chasser les fantômes des voûtes ou des palais où par habitude ils pourraient avoir tentation de revenir. Nos magistrats inamovibles sur le papier, mais nommés, avancés et mis à la retraite par décret impérial, limités à tout instant dans leur compétence par les arrêts de conflits ou les refus d’autorisation du conseil d’état, ne peuvent guère se faire l’illusion d’être les héritiers des parlemens. Et si l’université de France, fille des rois et adoptée par un empereur, s’est, en raison de cette double origine, quelquefois senti monter au cerveau des fumées d’indépendance, des décrets comme ceux de 1852 sont venus à temps châtier cet anachronisme de vanité.

Ainsi, des trois formes possibles de l’état, il en est une qui a décidément la préférence de l’état français, et effectivement elle présente à l’état lui-même tous les avantages pour l’accomplissement de sa tâche : unité dans le commandement, promptitude dans l’obéissance, commodité, célérité, régularité. Malheureusement, si on regarde d’un autre côté, à l’intérêt par exemple de la liberté des individus, le spectacle se retourne, et il est clair que si cette liberté avait à dire à qui elle aime mieux avoir affaire, elle choisirait dans le sens contraire. Ce n’est pas assez d’avoir, une fois pour toutes, nettement déterminé la part de l’état et celle de l’individu : quelques précautions sont nécessaires pour que la barrière, une fois élevée, ne soit à tout moment franchie. L’individu est faible, l’état est fort; l’individu est désarmé, l’état est en armes. De là tentation constante d’agression d’une part et menace d’oppression de l’autre. Or il est clair que le péril est d’autant plus grand que l’état forme une masse plus compacte, plus unie, plus disciplinée; il s’évanouit au contraire quand l’état est composé de parties mobiles, se faisant équilibre l’une à l’autre. Il est de toute évidence que si j’ai quelque abus à craindre de la part de la force dont l’état dispose, cet abus est cent fois plus redoutable, venant d’une grande autorité centrale, obéie passivement par des milliers d’agens, que de magistratures émanant d’origine différente, se limitant mutuellement, et pouvant se servir de recours et de contrôle réciproques. Il est trop clair que si mon maire, mon juge et mon préfet sont trois personnages indépendans l’un de l’autre, je puis recourir auprès de l’un contre le tort que l’autre me fait, et, frappé à gauche, je puis chercher à droite un défenseur; mais si ce sont trois serviteurs d’un même maître, trois exécuteurs d’une même pensée, trois faces d’un même visage, me voilà pris de tous les côtés, et l’autorité s’élève devant moi comme un mur qui ne laisse aucun jour par où puisse passer un rayon de lumière ou s’exhaler un soupir.