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Enfin quelques-unes seulement peuvent être détachées pour être dévolues à des corporations indépendantes qui, une fois créées, se recrutent et se gouvernent elles-mêmes. En un mot, pour sortir des définitions abstraites et montrer les choses sous leurs traits reconnaissables, un pouvoir central chargé de toute l’administration, — des pouvoirs communaux ou provinciaux décidant des intérêts locaux, — de grands corps, comme étaient les universités ou les parlemens de l’ancien régime avec certaine attribution souveraine, — telles sont à peu près les trois seules faces sous lesquelles puisse se dessiner, en regard de la liberté de l’individu, la physionomie de cette force publique qu’on appelle l’état.

De ces divers modes de procéder, chacun sait qu’il en est un que l’état français a jusqu’ici affectionné particulièrement. C’est le premier, c’est celui qui réunit tout le pouvoir au centre, pour le faire découler ensuite, par une série de canaux superposés les uns aux autres et engrenés les uns dans les autres, jusqu’aux extrémités. Toute l’histoire de France a conspiré dans ce sens. Tout le sol a été nivelé, toutes ses eaux vives ont été colligées par des ingénieurs monarchiques ou républicains, pour rendre facile une canalisation de cette espèce. Un pouvoir colossal à Versailles ou à Paris, Rappelant Louis XIV ou la convention, nommant les juges et les intendans des moindres villages, ces fonctionnaires arrivant de la capitale avec ordre de faire rapport de tout et de ne rien décider sans un ordre supérieur, voilà l’idéal toujours poursuivi par tous les pouvoirs, aux applaudissemens de tous les publics, quelquefois dérangé par les circonstances, mais enfin plus complètement atteint qu’un idéal n’a coutume de l’être en ce monde. Quant aux deux autres formes que l’état peut revêtir, il les a toujours considérées ou comme des vêtemens trop étroits qui gênaient ses mouvemens, ou comme des costumes surannés pour jamais passés de mode. Des pouvoirs locaux indépendans, à peine, à aucune époque un peu récente de notre histoire, en avons-nous connu l’ombre. Il serait difficile de dire ce qui était le plus sacrifié ou le plus maltraité par nos maîtres, des assemblées provinciales de l’ancien régime ou de nos conseils-généraux actuels, des échevins de paroisse d’autrefois ou de nos modernes conseils municipaux. Les uns et les autres, traités en véritables mineurs ou interdits, n’ont jamais pu délibérer sans ordre ni prendre une décision qui n’eût besoin d’être confirmée. Ils n’ont été que des rouages, et des rouages souvent inutiles, d’une grande administration centrale. Quant à des corporations maîtresses d’elles-mêmes et remplissant sous leur responsabilité propre quelque grand devoir social, l’ancienne France en connaissait sans doute; mais apparemment elle s’en est repentie, car la nouvelle y a