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délit ; association de producteurs ou de travailleurs, coalition; réunion de prière ou de charité, jésuitisme, ultramontanisme, état dans l’état : quoi de plus digne de toutes les foudres administratives? Ainsi maintenu en permanence dans la gêne et l’isolement, l’individu perd à la fois la force et le désir de se suffire à lui-même. Son découragement croissant sert de prétexte pour achever de le dépouiller de ce qui lui reste, sous couleur de le décharger de ce qui l’accable. Lui-même, à force d’être traité en mineur, prend les sentimens d’un enfant qui s’effraie dès qu’il est seul, et, s’enfermant dans un cercle vicieux qui se resserre sur lui chaque jour davantage, il s’affaiblit parce que l’état l’entrave, et s’abandonne aux bras de l’état parce qu’il est faible.

Telle est sans exagération la condition singulière à laquelle tous, à quelque parti que nous appartenions, nous avons contribué à réduire notre pays. Si nous en sommes las aujourd’hui, et beaucoup d’indices témoignent que cette lassitude commence à se faire sentir, il est assez naturel que tous soient invités à concourir pour réparer le mal que tout le monde a fait. Le péché ayant été commun, la pénitence peut l’être aussi sans la moindre humiliation pour personne. Faire rentrer l’état dans les limites naturelles de son action qu’il a évidemment franchies, lui faire rendre tout ce qu’il a pris, restituer à chacun de nous la part de droits dont il est frustré, dans l’espérance que peu à peu l’exercice nous rendra aussi l’usage de nos forces, cela peut être le programme d’un nouveau parti libéral, qui ne demande à personne l’oubli de ses convictions, mais seulement le sacrifice d’une erreur que tous ont partagée. Encore un coup, république ou monarchie, dynastie de telle date ou de telle autre, peu importe : il y aura toujours en présence un état qu’on appellera roi, assemblée ou président, des individus qu’on appellera sujets ou citoyens, mais dont les rapports essentiels ne seront pas changés parce qu’ils porteront d’autres noms. Si le traité qui règle actuellement ces rapports a été conclu tout entier au profit d’une des parties et au détriment de l’autre, s’il se trouve par là sujet à être attaqué pour lésion énorme et d’outre moitié, c’est un procès que nous avons tous un égal intérêt à soutenir.

C’est le point de vue auquel semblent s’être placés avec une sagacité digne d’éloges les rédacteurs de Varia et de Francs Propos. Nous en trouvons la trace presque à toutes les pages de leurs volumes, particulièrement dans les remarquables études intitulées Liberté de la Charité, des Fonctions publiques, de l’Éducation politique de la France. Nous ne saurions trop les encourager à y donner encore plus de netteté et de hardiesse. Qu’ils ne cessent de réclamer pour nous, non le droit de nous donner un maître, pris dans telle famille,