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à peu près universel a dû s’arrêter devant de vieilles habitudes ou d’invincibles répugnances de la nature humaine, l’état semble s’être consolé de ces ménagemens en soumettant au moins au contrôle le plus jaloux ce qu’il ne pouvait pas absorber. Là où la régie a paru inapplicable, nous avons eu le règlement, Dieu sait dans quelle abondance et jusqu’à quelle minutie ! Parmi les professions restées libres ou soi-disant telles, combien peu qui ne soient réglées par la loi dans le moindre détail! Combien au contraire dont le régime se rapproche et semble ne se distinguer qu’à regret des fonctions publiques! Nous avons d’abord les professions à monopole (notaires, avoués, agréés, agens de change, — jusqu’à hier bouchers et boulangers, — aujourd’hui encore imprimeurs, libraires, éditeurs), toutes conférées par brevet que l’état accorde, et peut en certains cas révoquer, puis les professions mixtes que l’état confirme, s’il ne les confère pas (tous les ministres des cultes reconnus sont dans cette catégorie), puis encore les professions à diplôme, c’est-à-dire toutes les professions libérales, supposant des preuves de capacité dont l’état est juge, enfin les professions à livret, à savoir presque toutes les professions manuelles et laborieuses, tenues de fournir contre elles-mêmes à la police un moyen constant de surveillance. Tous ces gens-là dépendent de l’état à certain degré, ou au moins à certains momens de leur vie. Que reste-t-il en dehors de cette énumération? Tout au plus le propriétaire, le citoyen par excellence, inviolable, dit l’axiome légal, dans son domicile : inviolable en effet, pourvu qu’il n’oublie pas que le sous-sol de son terrain ne lui appartient pas, et qu’il n’en peut défricher la superficie qu’avec une autorisation, pourvu aussi qu’il ne soit sur l’alignement d’aucune route qui le contraigne à émonder ses arbres et à dresser le talus de son fossé de telle façon et non de telle autre, pourvu surtout qu’il ne rencontre le tracé d’aucun grand travail d’utilité publique qui l’expose à être exproprié! Sous ces conditions, charbonnier peut encore à la rigueur se croire maître chez lui; mais alors qu’il se garde de sortir de cette retraite privilégiée pour tâcher de s’entendre avec son voisin, censé libre comme lui, en vue de poursuivre en commun quelque but soit d’utilité, soit de conscience, soit même d’agrément. Ce serait là une association, c’est-à-dire la négation même du principe élémentaire de tout le droit public en France, car si aux yeux de la loi française l’individu est déjà un suspect qu’il faut surveiller, l’association, elle, est une coupable qui n’a besoin que d’être reconnue pour être condamnée. Quoi qu’elle fasse et quoi qu’elle veuille, il n’importe, son crime est d’être, et c’est un péché d’origine dont l’autorisation la plus solennelle de l’état ne peut pas toujours la relever. Simple réunion de plus de vingt personnes,