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autorisent sa majesté suédoise à amuser la cour de Versailles, afin d’en tirer le plus d’argent possible… »


N’est-il pas piquant que le jeune, mais habile diplomate se soit cette fois si singulièrement trompé ? N’est-ce pas une preuve frappante des erreurs où le parti-pris peut entraîner les esprits les plus clairvoyans ? On ne saurait en effet soupçonner M. Harris d’avoir induit volontairement en erreur ceux à qui il écrivait pour flatter leurs penchans. Nous ne le verrons jamais tomber dans ce travers, dont beaucoup de diplomates ne sont pas exempts. Il est vrai que ce sont surtout les souverains absolus qui sont exposés à être si mal servis. Lorsque la fortune et la carrière des hommes publics ne dépendent que de la faveur et du caprice d’un maître, on voit trop de ces lâches complaisances, voisines de la trahison, qui ont eu souvent sur la politique et sur les événemens une désastreuse influence.

Le 19 du même mois de septembre 1772, M. Harris rend compte en ces termes d’une conversation avec le ministre des affaires étrangères de Prusse :


« Lorsque le comte de Finckenstein a eu terminé ce qu’il avait à me dire au sujet du partage de la Pologne, il a commencé de lui-même à me parler des affaires de Suède. Il m’a dit que, quoiqu’il y eût bien des motifs de croire que le tout avait été concerté à l’avance, le secret avait été si bien gardé que la nouvelle de l’événement avait été tout à fait inattendue pour sa majesté prussienne, que le roi de Suède avait montré une grande résolution au moment de l’exécution, et qu’il fallait souhaiter maintenant que les conséquences ne devinssent pas fatales pour lui et pour son pays, car on ne pouvait supposer que la Russie supportât patiemment dans le gouvernement de la Suède une révolution si complète, et destinée à mettre un pouvoir si étendu aux mains de son souverain. J’ai pris la liberté de lui demander si le roi de Prusse avait l’intention de s’associer aux mesures que la cour de Russie pourrait prendre à cette occasion. Il a répliqué que sa majesté désirait ne pas s’en mêler activement, que ses liaisons avec les