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duc de Choiseul, qui, avant sa disgrâce et dès 1770, avait concerté avec l’héritier du trône de Suède les moyens d’arracher ce pays aux intrigues de la Russie et d’y rétablir l’indépendance de la couronne. Certes la France et la Suède n’étaient plus aux temps glorieux où François Ier trouvait dans Gustave Wasa un auxiliaire contre Charles-Quint, où Richelieu savait se servir de Gustave-Adolphe pour combattre l’ambition de la maison d’Autriche. Ce n’était pas cependant un spectacle sans intérêt et sans grandeur que celui de cette antique alliance resserrée entre un vieux monarque à qui le sceptre échappait et un jeune prince plein d’ardeur, jaloux de saisir le sien pour le porter en roi.

Le traité de 1738 et d’autres traités postérieurs, dont le dernier était de 1754, obligeaient la France à fournir des subsides à la Suède pour le besoin de sa défense; mais la Suède avait été infidèle à ses engagemens en contractant d’autres alliances, et les subsides avaient cessé d’être payés depuis 1756. Gustave, avant de quitter Versailles, reçut une somme considérable sur les arrérages, emporta des promesses de secours en hommes et en argent, et Louis XV le fit accompagner du comte de Vergennes, qu’il chargea de représenter la France à Stockholm. En arrivant dans ses états, le jeune souverain convoqua une diète où domina le parti des bonnets, et feignit de se soumettre à des décisions qui lui imposaient le respect de l’ordre de choses établi et le maintien des privilèges.

Six mois ne s’étaient pas écoulés, que Gustave, profitant des divisions des partis et des dispositions favorables de quelques corps de troupes, jugea le moment venu pour la réalisation de ses vues. Le 19 août 1772, il monte à cheval, rassemble ses soldats, les harangue, marche à leur tête, et fait arrêter les sénateurs et les hommes les plus influons du parti des bonnets. Deux jours après, il convoque les états, les entoure de troupes, et paraît sur son trône, au milieu de ses gardes. Il prend la parole, s’élève contre les prétentions aristocratiques, promet des libertés réelles à la nation, reproche aux membres de la diète leurs fautes et leurs trahisons, et termine en disant : « Si quelqu’un peut nier ce que j’avance, qu’il se lève et qu’il parle! »

Tout le monde se tut. La révolution était accomplie, sans désordre, sans réaction et sans une goutte de sang répandue. Rarement coup d’état fut plus justifiable et plus heureux. Ce n’était pas l’acte d’un despote jaloux d’une autorité utilement partagée et sagement contenue, qui risque sa couronne et trouble la paix de son royaume pour conquérir un pouvoir absolu. Ce n’était pas l’acte d’un usurpateur foulant aux pieds les lois qu’il a juré de respecter, et se couvrant de quelqu’un de ces prétextes qui ne manquent ja-