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si triste, si étranger dans sa demeure. Là-bas, c’est ma mère chérie, ma mère trépassée, qui m’appârait: inquiète, pleine d’angoisses, elle regarde, elle pleure, elle me fait signe, elle me fait signe encore avec sa blanche main. Je vois aussi mon père, là, sur le coussin de velours vert, assis et sommeillant doucement. (Il reste silencieux et plongé dans ses rêves. la nuit est venue. On voit dans le fond passer une forme humaine, un flambeau à la main.) Quel est ce fantôme qui vient de passer avec une vague lueur? N’était-ce qu’une illusion de ma fantaisie trompée? J’ai cru voir le vieil Hassan; était-ce lui? Peut-être que Hassan est couché dans la tombe et que son esprit veille encore sur le château qu’il a fidèlement gardé pendant sa vie. J’entends un mouvement confus, un bruit sourd, qui s’approche, qui s’approche toujours, comme si mes pères sortaient de leurs tombeaux pour me saluer de leurs mains de squelette, et me donner le baiser de bienvenue avec leurs pâles et froides lèvres. Ils viennent... les voici... Ah ! votre salut me tuera, (plusieurs Maures se précipitent sur la scène, le cimeterre au poing.)

« PREMIER MAURE. — Cela pourrait bien être.

« ALMANSOR, tirant son épée du fourreau. — A moi donc, ma brillante amulette ! Toi qui as déjà fait tant de prodiges, protège-moi contre ces mauvais esprits !

« SECOND MAURE. — Que viens-tu faire, étranger, dans notre château?

«ALMANSOR. — Je vous renvoie cette question. Le château m’appartient, et cet avocat (montrant son épée) va inscrire mon droit sur votre peau en caractères rouges.»


Quel est-il, ce poétique rêveur si prompt à manier l’épée? A son langage, on reconnaît un musulman. D’où vient qu’il porte le costume espagnol? Tout s’expliquera bientôt. Au moment où Almansor épuisé va succomber sous le nombre, arrive un vieillard qui réclame sa part de la vengeance; c’est à lui de donner le coup de mort au chrétien. Il lève le bras, quand soudain, à la lueur d’un flambeau, il aperçoit le visage de la victime : « Allah ! s’écrie-t-il en tombant à genoux, c’est Almansor-ben-Abdullah! » Almansor, fils d’Abdullah, est le dernier reste de la noble famille qui habitait naguère ce château, et le vieillard qui allait le frapper dans les ténèbres est le fidèle serviteur de sa maison. Voilà longtemps qu’ils ne se sont vus; après la prise de Grenade, le vieil Hassan s’est jeté dans les montagnes avec ses compagnons pour y continuer la guerre et préparer ses vengeances. Abdullah, emmenant tous les siens, est retourné en terre sainte, dans le pays du prophète. Que de confidences ils auront à se faire, le serviteur et le fils d’Abdullah ! Mais à peine Hassan a-t-il reconnu son jeune maître, à peine est-il tombé à ses pieds, qu’une pensée amère lui mord le cœur. Ce costume espagnol qui a failli coûter si cher à Almansor, c’est peut-être la livrée de l’apostasie. Hassan a vu des milliers de Maures renier par intérêt la foi de leurs aïeux; l’enfant qu’il a bercé serait-il un de ces renégats? « Almansor-ben-Abdullah, réponds-moi : d’où vient que tu portes