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s’est mise à attendre avec une perplexité pleine d’alarmes la publication des dernières notes échangées entre les puissances et la cour de Pétersbourg. La main a dû trembler à ceux qui ont pris part aux émotions de la Bourse de samedi, lorsqu’ils ont coupé la bande du Moniteur de dimanche.

L’innocent journal officiel a sans doute apporté une consolation indirecte, mais efficace, aux effrayés en leur apprenant que la nouvelle du jour était, non pas la reconnaissance du sud ou la maladie du roi Victor-Emmanuel, ou même la dépêche du prince Gortchakof, mais le titre de duc conféré à M. de Persigny. On conviendra que les inquiétudes des lecteurs du Moniteur ne pouvaient être plus heureusement désappointées. C’est une bonne fortune pour l’ancien ministre de l’intérieur que la publicité donnée à l’honneur dont il est revêtu ait ce caractère rassurant, et vienne en temps opportun dissiper une si chaude alarme. Nous avons un second duc civil. Nous fîmes l’an dernier notre profession de foi sur l’institution des ducs civils, et nous n’avons pas l’intention de la répéter aujourd’hui. Pas plus qu’on ne l’eût compris au temps où la noblesse était une réalité et où les titres avaient une signification sociale, nous ne comprenons des ducs qui ne soient pas d’épée. M. de Persigny rejoignant ainsi M. de Morny, il y a lieu de croire que la classe des ducs civils s’enrichira successivement de noms nouveaux, et que, suivant le mot dont nous nous servions tout à l’heure, nous sommes en présence, non seulement d’une récompense exceptionnelle, mais d’une nouvelle institution. Les personnes qui cultivent encore parmi nous la science des d’Hozier feront à ce sujet plusieurs observations. Il est à remarquer que, sous le second empire pas plus que sous le premier, on ne fait des marquis. On passe de comte à duc en franchissant le marquisat à pieds joints ; c’est encore le cas de dire : Saute marquis ! Les marquis ne se plaindront pas de ce système, qui finira peut-être, en diminuant leur nombre relatif, par rendre rare et recherché en France un titre tant raillé par ces terribles moqueurs Molière et Saint-Simon. Une autre remarque, c’est que nous ne suivons pas, quant aux noms, les erremens du règne de Napoléon Ier. Il y a eu des duchés civils sous le premier empire. Plaisance, Massa, Gaëte par exemple ; mais, comme on voit, on ajoutait alors des noms de ville au titre : cela sentait son fief, gardait une couleur nobiliaire, et couvrait complètement dans les nouveaux ducs l’origine professionnelle, le jurisconsulte ou le financier. Il n’en est plus ainsi maintenant. Les Espagnols ont une coutume qui semble s’accommoder avec la création d’une noblesse civile ; ils accouplent quelquefois le titre avec un mot exprimant une idée morale. Ils ont créé ainsi des princes de la paix, des ducs de la fidélité ou de la victoire. En Espagne, M. de Persigny, devenant duc, eût pu tout naturellement s’appeler duc du dévouement ou duc des élections ; mais personne ne regrettera que, dans notre nouvel engouement de noblesse et de titres pompeux, nous n’en soyons point arrivés encore à l’imitation des usages espagnols. Nous ne chicanerons pas au surplus M. le duc