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bien des manières, en lui attribuant une valeur arbitraire, en prenant pour base soit le blé, soit la farine, eu changeant la quantité ou la qualité de la marchandise, en vue d’un prix immuable. Quel que soit le mode adopté, on arrive à forcer le cours naturel du commerce, et il y a beaucoup plus de chances pour élever le prix que pour l’abaisser.

Le système de taxation en vigueur chez nous datait, on l’a vu, de 1823. Pour sortir de l’arbitraire dont on était las, on décida qu’à l’avenir le prix du pain serait la représentation naturelle des deux élémens de la panification, la farine et le labeur du boulanger. On dut chercher dans les mercuriales des marchés, dans le rendement de la farine transformée en pain, dans les dépenses de l’atelier, des moyennes officielles qui ne répondent jamais exactement aux réalités du commerce[1]. Avant 1823, — il faut insister sur ce détail, parce qu’on en méconnaît ordinairement l’importance, — la taxe n’était qu’une sorte de maximum dicté arbitrairement dans les jours de crise; mais en temps ordinaire le préfet de police acceptait l’évaluation des boulangers, et ne trouvait pas mauvais qu’ils s’assurassent des bénéfices quand d’ailleurs le prix du pain était suffisamment abaissé. Sauf les temps de disette, où l’autorité la condamnait à de durs sacrifices, la corporation était généralement à l’aise et considérée. Le boulanger était industriel et négociant dans le sens exact de ces mots. Il spéculait sur l’achat des blés; il faisait moudre à façon, et suivant le type qu’il désirait, dans les nombreux moulins qui entouraient alors Paris. Il se réservait un prix convenable pour le travail de cuisson. Le farinier au contraire se mouvait dans un cercle assez étroit, comprimé qu’il était par une autorité qui lui faisait concurrence au moyen de ses approvisionnemens, ou qui s’avisait parfois de donner aux farines des prix de fantaisie. Depuis 1823, la médaille est retournée : le boulanger est asservi, le meunier est émancipé. Le prix du pain à Paris n’étant plus

  1. Il ne faut pas laisser oublier comment on a procédé chez nous pendant quarante ans. On établissait le prix moyen de la farine de première et seconde qualité d’après les mercuriales dressées par les facteurs de la halle de Paris. A ce prix on ajoutait l’allocation attribuée au boulanger, soit 7 fr. par quintal métrique fabriqué ou 11 fr. par sac. On supposait enfin que 100 kilogrammes de farine doivent rendre en pain 130 kilogrammes en raison de l’eau qu’on y ajoute, ou, ce qui revient au même, qu’on doit trouver 204 kilogrammes de pain dans le sac de 157 kilos. Voici un exemple du calcul :
    Prix officiel de 100 kilogrammes de farine 45 fr.
    Rémunération du boulanger. 7 fr.
    Total 52 fr.

    La somme de 52 francs étant le prix de 130 kilogrammes de pain, on taxait le kilogramme à 40 centimes.