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raître les petits boutiquiers, dans la persuasion qu’ils étaient plus nuisibles qu’utiles à l’approvisionnement de Paris. Malgré leur bonne volonté, les boulangers les plus solides ne pouvaient pas vendre longtemps à perte. Le préfet de police se rappela qu’on pesait autrefois sur le cours des farines en faisant verser des marchandises à la halle. Les fameux moulins de Corbeil avaient été vendus comme biens nationaux, et ils appartenaient alors à un spéculateur nommé Robert. Celui-ci, en vertu d’un traité fait avec le gouvernement, qui lui promettait 90,000 francs par an, devait conserver une réserve en farine, et en verser sur le marché de Paris, chaque fois qu’il en serait requis, jusqu’à concurrence de 30,000 sacs. Robert n’avait pas plus que ses confrères le secret de vendre la farine à bon marché quand le grain est rare et cher : il ne put amener que 340 sacs, et le traité fut déchiré.

Vers le milieu de l’année, la crise alimentaire prit un caractère alarmant. «Les fariniers et les boulangers ne faisaient plus d’achats, parce qu’ils voyaient les prix de la farine et du pain inférieurs à ceux du blé... La panique s’empara des esprits. Dans certains quartiers, des rassemblemens d’hommes et surtout de femmes se formèrent aux portes des marchands. Le mal s’aggrava, comme toujours, par la peur qu’on en avait : chacun faisait des provisions de beaucoup supérieures à ses besoins réels; il en résulta que dès huit ou dix heures du matin, dans certains quartiers, les boutiques se trouvaient entièrement dégarnies[1]. » Quelques boulangers s’étaient risqués à vendre le pain à 14 sous en dépit de la taxe, qui était restée fixée à 13, Peut-être auraient-ils mérité des remercîmens : on commença par les faire arrêter, « pour opposer une barrière à la hausse du prix du pain. » Il fallut toutefois les relâcher et laisser une certaine liberté à la vente.

Le préfet de police se plaignait d’être paralysé par le ministre de l’intérieur, et celui-ci s’en prenait sans doute au zèle exagéré de M. Dubois : un petit incident mit fin aux tiraillemens. La troisième exposition des produits de l’industrie devait avoir lieu, suivant l’usage, pendant les fêtes commémoratives de la fondation de la république. La cour du Louvre servait de cadre à une espèce de portique comprenant cent quatre arcades destinées aux exposans. Le premier consul s’y rendit en splendide équipage et entouré pour la première fois de vingt-quatre domestiques en livrée verte galonnée d’argent. La foule accourut à ce spectacle; elle cria, comme d’ordinaire, vive Bonaparte; mais elle fit retentir en même temps cet autre cri : vive le pain! Le premier consul rentra fort soucieux,

  1. Note citée plus haut.