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nombre de 2,000 pour une population d’environ 550,000 âmes. Quand ce brocantage n’offrait plus de bénéfices, les campagnards restaient chez eux : beaucoup de petites boutiques se fermaient, et il n’y avait plus en présence du consommateur que les boulangers établis, au nombre d’environ 1,200. Bref, les choses se passaient alors pour le pain, comme aujourd’hui pour les fruits et les légumes. Un pareil régime va paraître monstrueux à bien des gens : tout ce que j’en puis dire, c’est que le public ne s’en plaignait pas. L’extrême concurrence amenait souvent l’extrême bon marché : les bonnes boulangeries se rattrapaient sans doute comme aujourd’hui avec des clientèles de choix, et en définitive l’autorité dormait tranquille.

Une présomption en faveur de cet état de choses, c’est que le gouvernement consulaire le laissa subsister près de deux ans malgré sa vigilance à supprimer les abus signalés par l’opinion. En avril 1801, une hausse inaccoutumée sur les grains se déclara. La récolte de 1800 avait été médiocre, et celle de l’année courante s’annonçait assez mal. Dans les autres pays, surtout en Angleterre, on avait atteint le prix de famine. En mars 1801, on cotait à Londres le quarter de froment 156 schellings, cours qui représente 57 francs l’hectolitre, même en tenant compte de la dépréciation que subissait déjà le papier anglais à cours forcé. Les prix du commerce tendant naturellement à se niveler, il n’était pas étonnant que le blé fut payé de 24 à 25 francs l’hectolitre dans le rayon de Paris malgré les réserves abondantes qui y existaient ; mais ce prix faisait ressortir le kilogramme de pain à 40 centimes, et c’était une cherté excessive pour une époque où les salaires n’atteignaient pas à beaucoup près ceux d’aujourd’hui. Puis, c’était l’instant où le premier consul commençait à laisser percer ses projets d’élévation personnelle. Le pays était beaucoup plus agité que les historiens ne nous le laissent entrevoir, et il est probable que les conspirateurs de diverses nuances recommençaient à évoquer le fantôme de la famine. Ce cri : « du pain ! » avait retenti dans toutes nos journées révolutionnaires avec un accent lugubre que personne n’avait oublié. Le futur empereur prit l’alarme, et c’est alors qu’il résolut de prévenir par une forte organisation de la boulangerie le vague danger qui amoncelait un nuage sur son avenir.

Il y a des lacunes dans les plus grands esprits. Je ne me permettrai pas de dire que la case vide chez le premier consul était celle de l’économie politique : il est vrai seulement qu’il l’avait meublée de maximes n’appartenant qu’à lui. « Dans sa pensée, l’intérêt politique exigeait impérieusement que l’on fît en sorte que non-seulement le pain ne pût jamais manquer à Paris, mais encore qu’il s’y maintînt à un taux modéré. Il croyait d’ailleurs que le prix du pain