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son véritable rang dans la nature. « Si l’on venait de toutes parts, disait Diderot, me raconter qu’un mort se promène à Passy, je ne me dérangerais pas pour l’aller voir. » Nous autres, nous irions à Passy, nous irions voir si ce miracle n’est point dû à une léthargie ou à une excitation galvanique, ou à toute autre cause assignable.

Au moment de parler d’une forme toute contemporaine de notre goût du surnaturel, reportons-nous à quelques années dans le passé. Quand le bruit se répandit vers 1854 que les tables tournaient par l’imposition des mains, il n’est guère, que nous sachions, d’hommes sérieux, d’ingénieurs, de physiciens, qui n’aient tenté à ce sujet quelque expérience. Qui eût voulu affirmer par exemple que l’électricité fut incapable de produire cette merveille ? Un courant qui aurait circulé dans un certain sens à travers la chaîne formée par les mains des opérateurs, un courant inverse dans la table, il n’en fallait peut-être pas plus pour que la table tournât. D’autres explications se présentaient. L’une des plus brillantes assignait pour cause au phénomène l’action involontaire produite par l’imagination des expérimentateurs sur les muscles de leurs mains ; la curiosité, l’attente, une sorte d’ennui nerveux, pouvaient donner aux doigts placés sur un objet quelconque, sur une table, sur un chapeau, des trépidations suffisantes pour mettre cet objet en mouvement. C’est même à l’efficacité de cette cause qu’il faut attribuer la vogue singulière qu’obtinrent parmi nous, pendant plusieurs mois et plus peut-être, les essais sur les guéridons et les chapeaux tournans.

Peut-être se rappellera-t-on aussi la fille électrique, Angélique Cottin ; il y a dix ans, elle vint de sa province à Paris avec ses parens, dont la probité et la bonne foi ne parurent pas douteuses ; il s’agissait de faire constater par des hommes compétens le pouvoir surnaturel qui lui était donné de renverser les tables sans les toucher et par la seule énergie de sa volonté. Ce prodige, où l’on pouvait soupçonner quelque effet magnétique, fit grand bruit dans Paris. L’Académie des Sciences ne dédaigna pas de nommer une commission pour examiner les faits[1]. Il fut reconnu que cette grosse fille, rusée sous une apparence de niaiserie, savait surtout lasser l’attention de son public et donner, quand on ne la regardait plus, un coup de genou dans le meuble qu’elle voulait renverser.

Que les tables tournantes aient obtenu l’honneur d’un examen sérieux, nous en donnons les raisons, et il n’y a rien là de bien étonnant. Ce qui est plus piquant peut-être, c’est que de cette origine soit née une sorte de doctrine, une théorie des esprits, qui a trouvé un nom tout neuf à se donner, le spiritisme, et qui a son chef, ses

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1854, les Sciences occultes au dix-neuvième siècle.