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des règlemens actuels, et où l’on remplacera l’autorité des préfets par celle des recteurs. Tout cela fait, il restera encore à créer l’enseignement des filles, c’est-à-dire à le mettre sur le même pied, à tous égards, pour le nombre des écoles, pour le traitement des institutrices, que l’enseignement des garçons. Pourquoi tarder? pourquoi attendre un mois, une semaine, une minute? Est-ce que par hasard les droits des filles sont moins sacrés? Voilà trente ans qu’elles attendent le bénéfice de la loi qui leur a été solennellement promis. On dirait que l’éducation de l’homme ne commence pas avant six ans, qu’il n’y a pas une école avant l’école, et que l’instituteur peut faire quelque chose des enfans sans le secours des mères !

Mais ce qui vaut mieux peut-être que de créer des écoles, c’est de les faire désirer, de les faire aimer. Quel en est le moyen? C’est ici que nous rencontrons l’institution des bibliothèques populaires.


II.

Il a fallu bien des années pour que l’on comprît que le meilleur moyen de remplir les écoles était de propager le goût de la lecture. C’est tout au plus si la lecture, qui est indispensable comme instrument de travail, rend moins de services comme instrument de plaisir. On accomplit quelquefois un très grand progrès moral rien qu’en substituant un plaisir à un autre. Si jamais la lecture devient l’amusement favori des ouvriers, il faudra doubler le nombre des écoles. Il s’agit donc d’avoir des livres.

Dans les pays protestans, il y a sous chaque toit au moins un livre : c’est la Bible. Tout le monde sait la quantité de bibles qui se donne en Angleterre. A Paris, si vous entrez dans un temple pour assister à un mariage, vous verrez toujours la cérémonie se terminer par le don d’une bible. C’est un acte de religion très bien entendu, et en même temps, à un point de vue profane, c’est une coutume très utile aux pauvres ménages. Il faut avoir réfléchi sur ces grandes questions de l’éducation pour savoir toute la différence qui sépare ces deux situations : avoir un livre, — un seul, — n’en avoir pas. La présence de ce livre unique ravive les souvenirs de l’école, et en perpétue les enseignemens. On trouverait chez les catholiques plutôt un paroissien qu’une bible, et le paroissien même, il faut le dire, est une exception. Dans la plupart des églises, les femmes roulent un chapelet entre leurs doigts ; les hommes chantent les psaumes de mémoire. Rentrés chez eux, ils n’ont pas même un journal, pas un almanach. Non-seulement ils ne lisent pas de livres, mais ils n’en voient pas. Le signe sensible de la civilisation est ab-