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L’heure est propice. Tout le monde est d’accord, le gouvernement, l’opposition, la bourgeoisie, le peuple. Si l’on propose de faire un sacrifice pour l’enseignement primaire, de quelque côté que parte la proposition, aucune objection n’est possible. On pourra soutenir que le sacrifice n’est pas suffisant; personne n’osera prétendre qu’il est excessif. Aux dernières élections, dans toutes les réunions d’ouvriers, les premières paroles étaient pour demander une plus grande diffusion de l’enseignement. Il y avait des divergences sur d’autres points, mais la plus grande unanimité sur celui-là. Avant tout, que tout le monde sache lire et écrire : ce mot était dans toutes les bouches. Des ouvriers très instruits et très éloquens, et il y en a beaucoup, surtout à Paris, faisaient des discours qui auraient entraîné une chambre. D’autres venaient, la rougeur au front, déclarer qu’ils ne savaient pas lire, et que c’était le plus grand malheur de leur vie. On les entourait comme des déshérités, comme des victimes. Tous les candidats, sans exception, promettaient de se dévouer à l’enseignement populaire, ce qui prouve péremptoirement la grande préoccupation, ou pour mieux dire la grande résolution du corps électoral. C’en est fait, la France ne veut plus rester au cinquième rang pour l’instruction des masses. Elle est charmée sans doute d’avoir inauguré l’ère du canon rayé et de faire des conquêtes pour ses voisins et pour ses anciens ennemis; mais elle tient à dépenser aussi quelques-uns de ses millions pour faire dans son propre sein des conquêtes sur la barbarie. M. Rouland avait provoqué entre les maîtres d’école un concours sur les besoins de l’enseignement primaire, excellente pensée qui a été féconde, puisqu’elle a montré ce qu’il y a de bon sens et de savoir dans ces obscurs et utiles serviteurs de la civilisation. De toutes parts sont venus des vœux pour la multiplication des écoles; il ne suffit pas d’une école par commune quand la commune est étendue! Un enfant de six ans ne court pas l’hiver, seul, par les mauvais chemins; c’est à l’école de se rapprocher de lui, c’est à la civilisation de l’aller chercher. Ce qui a le moins préoccupé les instituteurs, c’est l’avenir de l’instituteur lui-même. Ce minimum de 600 francs, si péniblement obtenu, sera-t-il le dernier mot de la munificence nationale? M. de Salvandy a le premier fondé pour les instituteurs une caisse de retraite : on a marché depuis dans la même voie ; à l’heure qu’il est, malgré tout ce qu’on a fait, les instituteurs ne peuvent pas dire que le pain de leur vieillesse est assuré. Une réforme moins coûteuse, presque aussi nécessaire, c’est de leur rendre quelque liberté dans leur école, d’assurer leur dignité, et, dans une juste mesure, leur indépendance. Ce sera un beau jour pour les amis de l’éducation du peuple que celui où on abrogera la moitié