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en même temps qu’on fortifiait l’autorité universitaire préposée aux collèges et aux grandes écoles publiques, on enlevait aux recteurs et on transférait presque complètement aux préfets la direction des écoles du premier âge. L’administration centrale ne se réserva guère que les questions de méthode, et ce qui tend à prouver qu’elle n’était plus elle-même aux mains des hommes compétens, c’est l’excès de réglementation par lequel les bureaux se sont signalés dans ces dernières années. Jamais il ne viendra à l’esprit d’un praticien de soumettre tous les instituteurs aux mêmes règles, de leur imposer les mêmes livres, de mettre dans leur bouche les paroles qu’ils doivent prononcer, et de transformer nos écoles françaises en pagodes. L’art d’enseigner consiste précisément à modifier sa méthode suivant l’esprit et le caractère de chacun. Le moindre inconvénient de cette réglementation à outrance, c’est de décourager les instituteurs et de rendre le dévouement et le talent inutiles.

Il n’y a rien de plus beau ni de plus vrai que les maximes stoïciennes sur la vanité des richesses et des honneurs. Tout homme de cœur doit être convaincu qu’un maître d’école de village, qui n’a que les gages d’un valet et qui remplit courageusement son devoir, est supérieur à ces riches fainéans qui ne sont préoccupés que d’eux-mêmes, et pour qui toute la morale se compose des devoirs de bienséance imposés par la société polie. Mais nos paysans ne sont pas encore des stoïciens : ils voient les haillons, ils ne voient pas la vertu qui les anoblit. Dans beaucoup de communes, le maître d’école est obligé, pour vivre, de se faire sonneur de cloches, fossoyeur; quelquefois il se loue comme valet de ferme pendant la durée des vacances. Cette position dépendante, humiliée, souffreteuse, lui ôte toute influence dans la commune; c’est beaucoup si elle ne diminue pas son autorité sur ses élèves. Comment pourrait-il se plaindre aux parens du peu de soin qu’ils mettent à surveiller l’assiduité de leurs enfans? S’il s’avise de gourmander ceux qui absolument n’envoient pas leurs enfans à l’école, il a l’air de ne songer qu’à augmenter son importance ou son revenu. Quand il parle des avantages de l’éducation, n’est-il pas lui-même la réfutation vivante de ses paroles? Un bon maire, un curé dévoué, feront ce que le maître d’école ne peut pas faire; mais si le maire, ce qui arrive trop souvent, est incapable de comprendre l’utilité de l’école, si le curé désire la chute de l’école laïque, dans l’espoir de la remplacer plus tard par une école de frères, voilà un village où les paysans seront abandonnés à leurs propres inspirations sur cette matière délicate. Il est vrai qu’il n’est pas nécessaire d’être habitant de la ville pour aimer ses enfans; mais il faut déjà une certaine ouverture d’esprit pour comprendre les bienfaits de l’éducation. En 1833 et 1834,