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grès qu’elle ne réalisait pas immédiatement. Jamais un bon citoyen ne pensera à de si grands résultats, accomplis si sûrement et si modestement, sans un profond sentiment de reconnaissance.

Ce qu’on a fait depuis peut se résumer en deux mots : on a amélioré la position matérielle des instituteurs; sous tous les autres points de vue, on a reculé. Reconnaissons loyalement qu’on doit tenir un grand compte de cette amélioration du sort des instituteurs. Avant tout, c’était une question d’humanité; mais c’était aussi une question d’école. C’est une mauvaise condition que d’avoir faim et d’avoir chez soi une femme et des enfans qui ont faim, pour faire la classe tous les jours pendant six heures, et c’est un mauvais spectacle, un mauvais enseignement pour les enfans et pour leurs parens, que de voir l’instituteur vêtu de haillons. Croirait-on bien qu’en 1846, treize ans après le vote de la loi, sur 32,806 instituteurs communaux, 26,000 environ n’avaient qu’un traitement fixe de 300 fr. ou au-dessous? La moyenne totale était de 294 fr. 22 c. En ajoutant au traitement fixe le produit de la rétribution scolaire, on n’arrivait qu’à une moyenne de 454 fr. pour 27,000 instituteurs, presque tous pères de famille, car les instituteurs, il ne faut pas l’oublier, ont des mœurs sévères et se marient jeunes, 454 fr. par an, c’est 1 fr. 25 c. par jour : maigre budget pour nourrir une famille, dérisoire indemnité pour les importantes et pénibles fonctions de maître d’école. Aujourd’hui même, avec les 6 millions que donne l’état et les 16 millions que rend la rétribution scolaire, on compte encore par milliers les instituteurs communaux qui peuvent envier la position d’un bon valet de charrue. La Prusse, dont la population est inférieure de moitié à la nôtre, inscrit annuellement à son budget 22,500,000 fr. Toute proportion gardée, c’est 50 millions qu’elle donne, et nous 6. Après tout, et malgré tout ce qui reste à faire, nos instituteurs, depuis ces dernières années, ont du pain. C’est un progrès.

Le progrès s’arrête là. La plupart des lois qu’on a faites depuis 1850 sont des lois politiques et non pas des lois scolaires. On a voulu punir les instituteurs, ou les dominer, ou les employer, augmenter ou restreindre l’influence des prêtres. L’éducation s’accommode mal de ces fluctuations. Pour faire une loi d’instruction, il faut être uniquement préoccupé de l’instruction. C’est une affaire de grande conscience et de grande expérience dont ne devraient pas même approcher les hommes de parti et les hommes étrangers au métier. On apprend encore tous les jours, en fait d’instruction et d’éducation, après vingt et trente ans de méditation et de pratique. Peut-être cela est-il plus vrai de l’instruction élémentaire que de l’instruction secondaire et de l’instruction supérieure. Cependant,