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dévorent incessamment les uns les autres. L’alcool et l’acide carbonique qui se forment pendant tout ce temps peuvent être considérés en quelque sorte soit comme les excrémens, soit comme les rebuts de ces petits êtres. C’est aux plus impures fonctions des plus humbles animalcules que nous devons donc les liqueurs qui nous sont si précieuses et qui nous donnent joie et santé.

L’alcool, on le sait, se transforme facilement par une seconde fermentation en acide acétique : personne n’ignore que le vin tourne en vinaigre. C’est encore un ferment animé qui est l’agent de cette transformation. Dans le vin, on le nomme la fleur du vin; dans les vinaigreries, la fleur du vinaigre, ou mère du vinaigre. Des pellicules se développent à la surface des liquides alcooliques en voie de transformation ; elles se sont formées par l’accumulation de petits végétaux mycodermiques : le mycoderme du vinaigre, mycoderma aceti, jouit de la propriété de prendre le gaz oxygène à l’air et de le fixer ensuite sur l’alcool pour le métamorphoser en acide acétique ; le mycoderme du vin transporte également l’oxygène de l’air sur l’alcool, mais il brûle entièrement ce dernier et le change en vapeur d’eau et en acide carbonique. Dans ce dernier cas, les propriétés comburantes de la plante sont comme exaltées, et l’acide acétique ne peut se conserver, parce qu’il est brûlé au fur et à mesure qu’il se produit. Pour déterminer la fermentation du vinaigre, il faut que la fleur acétique reste à la surface de l’infusion alcoolique, au contact de l’atmosphère à laquelle elle soustrait sans cesse de l’oxygène. Les mycodermes transportent partout avec eux leurs propriétés comburantes, qui sont, à vrai dire, leur appétit : c’est ainsi qu’ils servent à décomposer non-seulement l’alcool et le vinaigre, mais encore les sucres, les acides organiques, les matières albuminoïdes. L’oxygène, qui brûle tous les débris des êtres organisés, en détruit une bien faible partie par son action directe et purement chimique : c’est par l’exercice d’une fonction physiologique que la nature hâte cette destruction nécessaire. Les êtres vivans deviennent ainsi les réactifs de ce vaste laboratoire où les opérations sont bien autrement compliquées que dans les cornues et les flacons du chimiste[1].

  1. M. Pasteur a fondé sur les propriétés comburantes des mycodermes un procédé industriel de fabrication du vinaigre, pour lequel il a pris des brevets qu’il a du reste généreusement laissé tomber dans le domaine public. Ce procédé est des plus simples : il sème le mycoderma aceti, ou fleur de vinaigre, à la surface d’un liquide formé d’eau ordinaire contenant 2 pour 100 de son volume d’alcool, un peu d’acide acétique provenant d’une opération antérieure et quelques traces seulement de phosphates alcalins et terreux. La plante se multiplie au contact de l’atmosphère, et en même temps l’alcool s’acétifie. Quand l’opération est en train, il suffit d’ajouter chaque jour un peu d’alcool, ou du vin, ou de la bière alcoolisée. Les phosphates qu’on ajoute au mélange fournissent aux mycodermes les élémens minéraux qui leur sont nécessaires. Le procédé nouveau a quelques avantages sur la méthode dite d’Orléans, qui est surtout en usage dans le Loiret et dans la Meurthe, et qui s’applique uniquement au vin, aussi bien que sur la méthode allemande, connue sous le nom de méthode des copeaux de hêtre. Dans la première, on laisse du vin s’acétifier lentement avec du vinaigre déjà préparé; dans la seconde, la liqueur alcoolique s’égoutte sur de grands tas de copeaux de hêtre et subit le contact de l’air dans son continuel et lent mouvement. Ces deux procédés, tout à fait abandonnés à la routine, ne permettent pas de régler la fabrication à volonté, comme il est possible de le faire dans le système véritablement scientifique proposé par M. Pasteur.