Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pauvre petit salon, sanctuaire de ses modestes élégances et de son travail assidu!... Je suis sûr qu’il lui en a coûté d’y introduire ces restes immondes... Et cependant, si quelqu’un ici accorde à mon malheureux frère une véritable compassion, un regret sérieux et durable, je suis tenté de croire que c’est Nettie.

Quant à moi, je suis forcé de me l’avouer, c’est pour elle, pour elle seule que je prends tous ces soins, que je déploie toute cette activité. Ce qui est de mon devoir, je l’eusse fait en d’autres circonstances; mais je ne l’eusse pas fait de même, c’est-à-dire avec les mêmes sentimens. Cette triste agitation, l’ignominie attachée à une mort dont chacun connaît la cause, la publicité qui met en relief d’une manière si fâcheuse le nom de notre famille, toutes ces choses qui m’eussent exaspéré n’ont plus pour moi que des atteintes émoussées. Ce n’est pas que je ne sois triste, assez triste, je le crains, pour que les curieux qui me regardent me fassent honneur de plus de regrets que je n’en éprouve. Cette mort si parfaitement logique, si bien en rapport avec la misérable existence qu’elle termine, j’y étais en quelque sorte préparé. Pardonner à ce malheureux m’est facile; mais en revanche il m’est impossible d’oublier tout ce que j’ai souffert par lui et pour lui, les douleurs dont il abreuva jadis notre pauvre mère, le sort pénible auquel il a condamné notre sœur, et surtout, surtout l’avenir de Nettie, peut-être compromis à jamais!


….. Je m’étais promis de ne plus m’irriter contre elle... Elle m’a forcé de manquer à ce serment. Les paroles qu’elle m’avait dites il y a huit jours, en me quittant après son funèbre récit : « vous m’en avez voulu, et je le comprends, » revenaient sans cesse à ma pensée. Elle a connu, apprécié mon légitime ressentiment, me disais-je; ce n’est pas sans doute pour le provoquer de nouveau. Un grand découragement, une grande impatience m’attendaient au salon de Saint-Roque. Sur ce même sofa auquel se rattachait plus d’un odieux souvenir, ma belle-sœur étalait son deuil austère, son mouchoir brodé, sa douleur d’apparat. Un fauteuil préparé d’avance attendait les personnes qui ne manqueraient pas de venir s’associer à ses regrets. Près de la table, assidue comme toujours à son implacable besogne, Nettie piquait l’aiguille avec une ardeur fiévreuse dans je ne sais quel petit vêtement noir. Toujours le même tableau dans cette maison que j’espérais changée, toujours la même servitude et toujours les mêmes obstacles!

« Je ne m’attendais pas à vous voir, monsieur Edward, me dit ma belle-sœur, portant son mouchoir à ses yeux... Le souvenir de ce qui s’est passé dans ce salon même, la dernière fois où nous nous y sommes trouvés réunis, doit vous expliquer ma surprise;... mais à