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ferment fût la force qui présidât au travail de la décomposition. Ils ont admis, comme leurs prédécesseurs et leurs maîtres, que les matières albuminoïdes éprouvent au contact de l’air une action inconnue par laquelle elles acquièrent le caractère ferment, c’est-à-dire le privilège d’agir par leur contact sur les matières organiques fermentescibles et d’y provoquer la dissociation des élémens chimiques.

Personne n’ignorait pourtant que dans la fermentation la mieux étudiée et la plus anciennement connue, je veux parler de celle qui se produit dans la fabrication de la bière, le ferment qui porte le nom de levure est une substance organisée. Dès 1680, Leewenhoeck l’avait étudié au microscope et y avait aperçu de petits globules sphériques ou ovoïdes, Thénard avait analysé la levure; il avait constaté qu’elle donne par la distillation beaucoup d’ammoniaque, et que par conséquent c’est un ferment azoté. M. Cagniard de La Tour, un membre de l’Académie des Sciences dont le nom n’est plus guère associé aujourd’hui qu’à certaines recherches d’acoustique, avait cependant tourné son attention vers la chimie organique : on croyait avant lui que la levure était simplement un principe immédiat des végétaux, comme l’amidon ou la cellulose ; il reconnut qu’elle était bien vivante et formée par un amas de globules susceptibles de se reproduire par bourgeonnement. On continua toutefois à penser que le phénomène vital, l’action physiologique, n’était dans la fermentation qu’un fait en quelque sorte accidentel, que la levure de bière était simplement le véhicule de forces, ou physiques, ou chimiques, qui se transmettaient aux molécules des infusions, et y déterminaient de nouvelles associations des corps simples. Loin de supposer que la levure tirât sa vertu de son organisation, on croyait au contraire que la seule portion du ferment qui décomposât le sucre en alcool était la portion déjà morte. On se fondait sur des expériences où il semblait que la levure fût détruite par le travail chimique de la fermentation.

Toutes ces idées, qui ont eu cours si longtemps sans satisfaire entièrement les esprits, mais sans rencontrer de contradicteurs décidés, doivent aujourd’hui être jetées au rebut. M. Pasteur, dans son beau Mémoire sur la fermentation alcoolique, a fait voir que les cellules de la levure de bière se nourrissent réellement aux dépens de l’infusion sucrée, et la transforment ainsi par une action physiologique et non par une simple action physique ou chimique. L’acte physiologique se lie, il est vrai, de la manière la plus intime à des phénomènes chimiques très complexes : le sucre, privé d’une partie de ses élémens, devenus la nourriture de la levure, se décompose et donne naissance, non-seulement comme on l’avait cru pendant fort longtemps, à de l’alcool et à de l’acide carbonique, mais encore à