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de fois les poètes ont parlé du ver du sépulcre ! Mais le ver n’est pas l’agent de destruction qui s’acharne le plus sur les cadavres : la nature a bien d’autres parasites à nourrir; elle jette ses animaux supérieurs en pâture à des légions invisibles que l’histoire naturelle connaît encore à peine, et qui pullulent avec une incroyable rapidité. Ces êtres microscopiques n’ont pas même besoin pour vivre des élémens complexes qu’ils trouvent dans les espèces animales et végétales : toute substance organique abandonnée à elle-même, capable de recevoir librement les germes charriés dans l’atmosphère, les féconde et se décompose à mesure qu’elle leur sert de nourriture.

On ne peut arracher à la nature tous ses secrets à la fois : on n’arrive jusqu’à elle que par de longues approches, pareilles aux tranchées qu’un ingénieur trace patiemment autour d’une citadelle assiégée. L’homme est assurément le terme suprême vers lequel convergent toutes les sciences; mais elles ne peuvent de prime abord le prendre pour sujet de leurs investigations, on ne saurait découvrir des lois simples et générales dans ce composé si complexe, si mobile, si changeant, où toutes les forces connues agissent à la fois. C’est hors de l’humanité qu’il faut chercher le secret de l’homme; aussi n’est-il pas étonnant qu’on n’étudie pas tout d’abord le mystère de la mort dans la décomposition cadavérique, et qu’on recherche en premier lieu la loi de ces décompositions bien plus simples que la chimie produit et règle comme à volonté. Même quand il ne s’agit que de ces phénomènes en quelque sorte élémentaires, on se heurte bientôt à de grandes difficultés, et on ne peut les vaincre qu’avec les ressources de l’analyse la plus délicate. Sur ce point cependant, M. Pasteur est arrivé à des résultats si précis et tellement généraux, qu’ils peuvent désormais prendre la valeur d’une véritable loi naturelle. Il a démontré que la décomposition des matières organiques, ou autrement dit la fermentation, est toujours liée à la présence des êtres organisés.

On a longtemps, sur la foi de Berzélius et de M. Liebig, le savant chimiste allemand, considéré les fermens comme des substances très facilement altérables, qui ont le don d’exciter, comme par sympathie ou plutôt par un ébranlement contagieux, la décomposition des matières organiques avec lesquelles on les a mélangées. Les molécules organiques étant très instables, on pensait que les fermens y détruisaient simplement l’équilibre, et que cette révolution intestine, commencée sur un point, se propageait dans toute la substance. Ainsi un château de cartes s’écroule tout entier quand on le touche en un seul point. L’action du ferment était donc simplement assimilée à ce qu’on nomme les actions de contact. Après Berzélius et Liebig, Gerhardt et M. Berthelot, deux esprits pourtant très hardis et novateurs, ont aussi rejeté la pensée que la vie du