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est déjà un cadavre; plus de mouvemens volontaires, les nerfs ne conduisent plus d’impressions au cerveau, le sang a cessé de circuler dans ses nombreux canaux, la nuit s’est faite devant ces yeux fixes, la respiration n’entretient plus dans les poumons le foyer d’une puissante chaleur. Cet être humain est bien mort pour vous qui l’aimez, qui le pleurez, qui appuyez un front brûlant sur ce front déjà glacé, qui soulevez cette main raidie et la voyez retomber inerte : il est mort! Mais la science a encore quelque chose à apprendre où vous ne savez que souffrir : elle ne jette pas, comme vous, un linceul sur ces restes inanimés; elle voit encore devant elle des organes, des tissus d’une exquise délicatesse, d’une infinie variété, des composés où la vie a mis longtemps son inimitable empreinte. Que va devenir cet ouvrage élevé par tant de forces mystérieuses et si longtemps demeuré intact? Tant que toutes ces substances, associées par une loi inconnue, ne sont pas retombées dans l’abîme inorganique, il faut que la science reste là, surmontant ses tristesses, ses dégoûts, et voie s’accomplir tout entière l’œuvre fatale de la décomposition.

Après la mort ordinaire, celle qu’il n’est pas besoin de définir, il y a donc comme une seconde mort, si l’on peut appeler ainsi l’ensemble des transformations qui métamorphosent l’être encore composé de substances organiques en élémens purement inorganiques. Cette mort chimique peut être observée partout où une substance fermente, c’est-à-dire se dédouble en matériaux plus simples. Le vin, le lait, tous les produits de l’économie animale ou de la vie végétale, meurent à leur façon; mais, chez l’être vivant lui-même, ne peut-on pas dire que le travail de la vie s’accompagne d’une mort perpétuelle? A mesure que de nouveaux atomes sont entraînés dans le courant de l’existence, d’autres en sont rejetés. La partie de nos alimens végétaux ou animaux qui ne trouve pas sa place dans les tissus, mais qui passe dans la charpente minérale des os, meurt en quelque sorte avant même de sortir de notre corps. Toutes les molécules qui, accidentellement ou non, reprennent dans notre système les formes cristallographiques de la substance inorganisée, les calculs par exemple, peuvent être considérées comme des cadavres charriés dans le tourbillon vital.

De même que le mouvement de la vie s’accompagne d’une mort perpétuelle, le travail de la mort est activé par celui de la vie. A cette loi, il n’y a point d’exceptions. Partout où une matière s’altère, se décompose, se putréfie, la nature a semé des germes qui trouvent leur nourriture dans ces restes livrés à la destruction. La vie est le vrai phénix qui renaît de ses cendres : elle ne s’éteint jamais, elle ne fait que passer d’un organisme dans l’autre; elle circule incessamment dans tous les canaux qui lui sont ouverts. Que