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dans les angles et les parties basses du col sinueux, et le liquide du ballon demeure indéfiniment sans altération.

Que répondre à une expérience aussi concluante? A celles que j’ai citées d’abord, on objectait qu’en présence d’une atmosphère factice et calcinée, la force générative pouvait demeurer inerte et comme étouffée; mais ici rien d’anormal : la liqueur est plongée dans l’atmosphère ordinaire; on se contente d’arrêter mécaniquement les corpuscules solides que l’air emporte dans ses courans. Les liquides d’ordinaire les plus fermentescibles ne montrent dès lors aucune disposition à se décomposer. Nul symptôme de vie ne s’y manifeste, nulle agitation intestine. Comment croire dès lors que le développement des êtres animés dans les infusions soit un phénomène tout spontané? Comment nier que, dans les circonstances ordinaires où la fermentation se produit, les germes des êtres vivans n’y soient apportés par l’atmosphère?


I.

En portant à la doctrine des générations spontanées des coups dont elle ne semble pas pouvoir jamais se relever[1], M. Pasteur a aussi jeté une lumière toute nouvelle sur les phénomènes les plus obscurs de la vie et de la mort; son œuvre, en ce sens, n’est pas purement négative et critique. La germination des êtres inférieurs intéresse au plus haut point le chimiste, parce que ces organismes infiniment petits lui apparaissent comme un puissant instrument de décomposition ; elle éveille aussi l’attention du physiologiste en lui montrant comment le retour des substances organiques à des élémens simples et inertes, la décomposition, la mort enfin, est une véritable source de vie. Les matières organisées sont des composés d’une fragilité, d’une délicatesse extrêmes; l’édifice atomique si savamment construit ne s’écroule jamais plus vite que lorsqu’il est miné par des corpuscules animés. Ces petits êtres voraces ne se contentent pas d’en détruire l’équilibre si instable, ils s’en arrachent toutes les parties, et les dévorent pour traverser plus vite les phases de leur développement éphémère et pour se perpétuer en se dédoublant.

Il y a longtemps qu’on l’a pressenti, celui qui aurait le secret de la mort aurait du même coup le secret de la vie. Bornons-nous aux faits de l’ordre matériel sans parler de la fuite de ce principe qui constitue notre individualité, qui commande à notre volonté, qui illumine notre intelligence : plaçons le savant en face de ce qui

  1. Une étude de M. Janet publiée dans la Revue du 15 août a montré quelles conséquences la philosophie spiritualiste pouvait tirer des travaux de M. Pasteur, dont nous cherchons surtout à indiquer ici la valeur scientifique.