Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sommes peut-être trop corrigés en nous jetant dans l’excès contraire. A Rome, sous l’empire, les poètes ressemblaient à ce riche original qui, poussant plus loin que d’autres cette magnificence fastueuse, voulait que tout fût sublime chez lui, non-seulement le langage, mais les meubles et jusqu’à ses esclaves, qu’il prenait les plus grands possible pour que dans sa maison il n’y eût rien que de grandiose, grandia vasa, grandes servos[1]. Ce caractère nouveau de la littérature latine n’a point échappé à Perse, qui parle souvent avec une pénétrante ironie de ces beautés boursouflées et vides, et de quelques coups d’épingle crève le ballon.

Une autre fantaisie, qui vient d’ordinaire aux littératures un peu épuisées, est de s’éprendre de ce qui est archaïque et de se plaire aux plus vieux et plus barbares souvenirs de l’histoire nationale. On espère retrouver un peu d’originalité dans la peinture des mœurs qui sont le plus loin de nous, et dont la rudesse peut faire un contraste piquant avec les élégances du jour. On mettait en vers les origines romaines. Néron n’avait-il pas le projet de chanter l’histoire de Rome en quatre cents livres? De jeunes échappés des écoles osaient entreprendre de grandes épopées, en remontant jusqu’à Romulus. De là un nouveau genre de poésie bizarre, rempli de lieux communs, toujours les mêmes sur les anciens héros. A côté d’apostrophes épiques et d’emphatiques expressions, on risquait les termes les plus bas et des trivialités rustiques sous prétexte de couleur locale, mélange de pompe et de bassesse qui produisait l’effet le plus discordant, et dont Perse fait la parodie dans ces vers : « Voici venir, apportant de grands sentimens héroïques, des écoliers qui jusqu’ici n’ont encore fait que des vers grecs, qui ne savent pas même, selon l’usage des écoles, décrire un bois sacré ni célébrer une riche campagne, et qui maintenant vous chantent pêle-mêle les corbeilles, le foyer, les cochons, les meules qui fument aux fêtes de Paies et Rémus, et toi, Cincinnatus, qui usais le soc dans le sillon quand ta femme accourut pour te mettre sur les épaules, devant les bœufs, la robe dictatoriale, et que le licteur rapporta lui-même la charrue à la maison... allez toujours, courage, ô poète! » Il est impossible de rendre en traduisant toutes les intentions malignes de Perse; il ne se moque pas seulement de cette ambition poétique qui entraîne des jeunes gens sans talent et sans étude à célébrer les plus sacrés souvenirs de Rome : il raille cet art nouveau si plein de rhétorique prévue, où les termes les plus vulgaires et les plus beaux mots se donnent la main, où l’apostrophe est de rigueur et s’élance du sein de la platitude. Dans toutes les littératures, rien

  1. Sénèque, Suasor. 2.