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puis consentir; car voyez ce que vaut, ce cri : c’est charmant! A quoi ne l’applique-t-on pas? Le refuse-t-on même à l’Iliade d’Attius ivre d’ellébore? aux petites élégies que dictent nos grands, lorsqu’ils digèrent, et à toutes les bagatelles qu’on écrit sur un lit de citronnier? » Bien plus, ces louanges sont en quelque sorte achetées : on ne les donne pas, on les vend. Les applaudisseurs sont des convives, de pauvres cliens que l’amphitryon-poète nourrit et habille. « Vous servez sur votre table quelque mets délicat, vous donnez un manteau usé à un de vos cliens transis, et puis vous dites : « J’aime la vérité, dites-moi la vérité sur mes vers. — Eh! comment le peuvent-ils? Voulez-vous que je vous la dise, moi? Eh bien ! vous êtes un vieil imbécile de faire de petits vers avec ce gros ventre. » Le trait n’est ni spirituel ni poli, et nous ne le citons que pour montrer jusqu’où va l’impatience de ce satirique philosophe en présence de ces usages mondains qui lui semblent des attentats à la sincérité et à la dignité romaine.

Ces ridicules, assez innocens et pardonnables, du beau monde ne méritaient pas peut-être tant de colère, et Perse, quelque prompt qu’il fût à s’émouvoir, ne les aurait pas attaqués avec tant de mauvaise humeur, si ces travers de la littérature ne lui avaient paru annoncer une dégradation des mœurs d’autant plus dangereuse et haïssable que l’exemple venait de Néron. Le ressentiment politique donnait plus d’amertume à ces protestations littéraires. Mais si la susceptibilité morale du satirique peut nous paraître sur quelques points excessive, il faut du moins lui savoir gré d’avoir vu nettement, et un des premiers, quels défauts menaçaient la littérature romaine. Perse les a signalés avec une précision remarquable. Bien qu’il n’eût pas le goût très pur, et qu’il soit loin d’avoir laissé dans ses ouvrages des modèles irréprochables, son honnêteté et celle de ses amis lui donnèrent une rare pénétration en des matières purement littéraires. Quand on a l’habitude de tenir haut sa pensée, on aperçoit de loin dans toute leur petitesse les ridicules du jour et les modes éphémères. Ainsi, sans parler des fadeurs et des frivolités que nous avons fait connaître, la littérature était en proie à une autre maladie dont il reste des traces profondes même dans les plus célèbres écrits du temps, dans Lucain, Juvénal et Sénèque, je veux dire le goût et la recherche d’un certain sublime, ce que Perse appelle

Grande aliquid, quod pulmo animæ prælargus anhelet.


La récitation répondait au style, et on enflait la voix pour débiter des vers enflés. On se croyait sublime et on n’était qu’ampoulé. Chez nous. Chateaubriand mit à la mode un style pareil dont nous nous