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faux dévots? Admirable dialogue entre l’hypocrite, qui cherche à circonvenir Dieu même par de doucereuses paroles, el Dieu, qui repousse ses indignes prières. « Que vous seriez un grand et aimable Sauveur, si vous vouliez me sauver de la pauvreté! — Combien lui disent en secret : Que je puisse contenter ma passion! — Je ne le veux pas! — Que je puisse seulement venger cette injure! — Je vous le défends! — Le bien de cet homme m’accommoderait. — N’y touchez pas, ou vous êtes perdu! — Mon Sauveur, que vous êtes rude! » Voilà le personnage de Perse : il a changé de religion, mais il est resté le même. Ses demandes, ses plaintes discrètes, telles qu’elles sont exprimées par Bossuet, sa déconvenue, vous paraîtraient même plaisantes et feraient sourire, si l’éloquence impérieuse de la réponse divine ne vous rappelait à de plus graves sentimens.

Après avoir confondu l’hypocrite, le poète libre penseur raille une autre espèce de superstition, celle de ces bonnes gens qui, en accomplissant toute sorte de cérémonies minutieuses et vaines, demandent au ciel, par exemple, de préserver leur enfant du mauvais œil et de lui accorder la richesse, le succès en amour, d’impossibles prospérités, .en un mot toutes les faveurs. Perse change de ton et se relâche de ses rigueurs pour décrire de si innocentes folies; dans des vers pleins de grâce, d’une grâce toujours austère et concise, il nous découvre un intérieur romain et nous fait assister à une scène domestique ridicule et touchante dans sa naïveté. — « Voyez-vous cette grand’mère ou cette tante craignant les dieux! elle tire l’enfant du berceau, promène le doigt du milieu sur son front et sur ses petites lèvres humides, pour le purifier avec la salive lustrale. Elle est si sûre que c’est là le moyen de le préserver des mauvais regards ! Cela fait, elle le secoue un peu dans ses mains, certaine que cet enfant, maigre et chétive espérance de la famille, va être, grâce à son humble prière, envoyé en possession des domaines de Licinius et des palais de Crassus. Que le roi, s’écrie-t-elle, que la reine le désirent pour gendre! que les jeunes filles se l’arrachent un jour! que, partout où il mettra les pieds, il naisse des roses! Pour moi, ce n’est pas une nourrice que je chargerais de faire des vœux. Ne l’écoute point, Jupiter, quand même elle t’adresserait ces prières tout de blanc habillée. » Le poète stoïcien, fidèle à sa doctrine, n’admet que les prières qui ont pour objet les biens de l’âme, les seuls biens qu’on ne se repentira jamais d’avoir demandés. Quant aux avantages extérieurs et matériels que les nourrices, les femmes et les grands parens ne manquent jamais de comprendre dans leurs vœux à la naissance d’un enfant, ils peuvent devenir précisément une cause de malheur. Dans les sociétés antiques surtout, la richesse,