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qui n’était pas retenu par la charité, qui faisait profession d’être libre et rude dans son langage, pouvait se livrer sans scrupule à ce dédain, et assaisonnait volontiers ses sermons de railleries. Bien plus, une certaine impertinence était le ton convenu de l’école et comme la prérogative de la philosophie. On ne paraissait pas assez vertueux, si on n’était un peu insolent. C’est ce que prouva Cornutus le jour où il fit gratuitement une injure à Néron. Le prince métromane, ayant formé le projet d’écrire en vers toute l’histoire de Rome, crut sans doute faire honneur au savant Cornutus en l’appelant à une sorte de conseil privé où l’on discuta sur le nombre de livres qu’il convenait de consacrer à un si grand sujet. Quelques familiers du prince ayant prétendu que quatre cents livres n’étaient pas de trop, Cornutus se récria, disant avec raison que personne ne lirait une œuvre de cette étendue. « Mais, lui fut-il objecté, votre Chrysippe en a composé bien plus. — Cela est vrai, répliqua Cornutus; mais les livres de Chrysippe sont utiles à l’humanité. » Néron offensé l’exila. Voilà un trait qui fait connaître Cornutus et la plupart des stoïciens. Ce n’était pas assez pour eux de braver le siècle par leur air, leur costume, la liberté morale de leur langage; ils tenaient encore à blesser les hommes et les puissans. La vertu leur semblait molle, si elle ne faisait sentir ses aspérités : ridicule véritable de la secte, que Tacite lui-même a blâmé, qu’il ne faut pas condamner trop sévèrement, parce qu’elle l’a payé assez cher sous les empereurs, ridicule éternel d’ailleurs dans toutes les sectes austères, dont de pieuses âmes aujourd’hui encore ne savent pas toujours se défendre, par cette fausse idée que la foi n’agit pas si elle ne heurte, que l’orgueil sied à la vérité, que l’insolence est le grand air de la vertu, la modestie un lâche abandon des principes, et la condescendance persuasive une faiblesse mondaine.

Autour de ce savant homme, qui fut un grand homme peut-être ou qui parut tel à ses contemporains, se groupaient un certain nombre de jeunes gens distingués, de bonne heure arrivés à la renommée ou à la gloire, qui étaient unis à leur maître et entre eux par une sorte d’amitié philosophique. On cite deux étrangers, deux Grecs, Pétronius Aristocrates et Claudius Agathémère, dont on ne sait rien, si ce n’est que ce dernier était médecin, que tous deux étaient aussi remarquables par leur science que par leur vertu, doctissimos et sanctissimos viros, jeunes hommes du même âge que Perse, que le poète admirait, dit-on, en tâchant de leur ressembler. Sans être des philosophes de profession, peut-être étaient-ils des gens du monde, comme on en voyait beaucoup alors, qui prêchaient la morale avec enthousiasme et avec toute l’âpreté stoïque, acriter philosophantium. Ils paraissent avoir été de ces hommes de bonne volonté qui se faisaient un devoir et une gloire d’attaquer